Le film s’ouvre sur une fin du
monde tout en douceur, baignée d’images propres au western. La lente agonie mondiale
que nous propose Christopher Nolan n’a rien à voir avec Mad Max ou 1984, ici pas
de fous furieux armés jusqu’aux dents ni de dictature, seulement un nivellement
par le bas, une dévolution tranquille. Cooper est un ancien pilote devenu
agriculteur par la force des choses, il cultive le maïs comme tout le monde
pour survivre. Les tempêtes de sable sont une menace constate et la poussière
s’infiltre partout, rappelant par moment le graphisme de Sergio Leone. Six milliards
d’êtres humains sont déjà morts de faim et pourtant, ceux qui restent tentent de mener une vie
normale. Les gens travaillent, boivent de la bière et jouent au baseball. La
famine qui sévit a des répercussions plus insidieuses. On révise l’Histoire en
fonction des besoins. L’astronomie par exemple n’est plus enseigner à l’école. C’est
des cultivateurs qu'on cherche, pas des astronautes. Cooper essaye de
transmettre sa curiosité intellectuelle à ses enfants, non par esprit de rébellion
mais seulement par amour. Quand sa fille
de se met à croire aux fantômes, il l’incite à trouver une explication
scientifique aux phénomènes étranges, même lorsque ceux-ci les conduisent à une base secrète de la Nasa.
Chaque réponse soulève un doute
raisonnable chez Nolan. Le déchirement d’un père qui doit quitter ses enfants
pour entreprendre un voyage spatial l’amène à se poser une question
fondamentale : est-ce qu’une cause noble vaut la peine de sacrifier ce
qu’on a de plus précieux ? Encore là, l’auteur n’y répond pas. Il se contente
d’explorer tous les paramètres du problème. Les discussions sur le pouvoir de l’amour
côtoient la physique quantique à bord du vaisseau. Dans leur quête pour trouver
une planète habitable, les astronautes sont confrontés à la notion
d’espace-temps, au fait que le monde ne sera plus le même à leur retour.
Ce n’est pas la
transposition visuelle de théories complexes qui fera d’Interstellaire un
classique, mais sa capacité à les ramener à une dimension humaine. Là où Contact de Robert Zemeckis échouait, Interstellar réussi.
Jamais les explications scientifiques ne se mordent la queue, elles trouvent
toujours une résonnance dans le concret, ne serait-ce pour souligner le fait que nos
choix sont tributaires de notre conception du monde et que cette perception est
malléable, pluridimensionnelle.
Tous les thèmes chers au réalisateur
sont présents : la mémoire, le rapport à la réalité, la distorsion de nos
perceptions et bien sûr l’avilissement qui nous guette. Non seulement il a su
construire une histoire divertissante autour de ses préoccupations, il y
ajoute en plus un ingrédient qui faisait défaut à ses oeuvre précédentes :
l’émotion. La dernière partie du film est exemplaire à ce niveau, puisque les
théories astronomiques, inspirés du physicien de Kip Thorne, sur la relativité
générale sont mises en perspectives avec les choix déchirants que doivent faire les membres d'une
famille. Le montage parallèle sert alors d’encrage pour illustrer la notion d’espace-temps
magistralement mise en images. Personnellement, j’en avais des frissons.
Il ne fait aucun doute qu’Interstellaire
est le film de la maturité pour Nolan, une œuvre-phare qui comme 2001 pour
Kubrick risque de marquer un tournant dans sa carrière. Ce n’est plus juste un
bon réalisateur, il entre désormais dans la catégorie des visionnaires de qui
on attend à chaque fois une révélation.