L’histoire raconte le parcours
de Joe Banks, un employé de bureau mal fichu, de son propre aveu. Un jour, son médecin lui diagnostique un
nuage cérébral, une maladie extrêmement rare, asymptomatique et mortelle. Le lendemain, comme par hasard,
un riche industriel lui fait une proposition : sauter dans un volcan pour
amadouer une tribu lointaine qui, en échange d’un sacrifice, acceptera qu’on
exploite un minerai qui se trouve uniquement sur cette île. En contrepartie,
Joe pourra mener la grande vie jusqu’à la fin du voyage.
Joe
contre le volcan a dérouté bien des spectateurs avec ses
changements de ton progressifs, son humour décalé et sa morale ambiguë. Il n’en
reste pas moins un film d’auteur, ambitieux sur le plan narratif et audacieux
dans sa facture. Après avoir gagné l’oscar du meilleur scénario pour Éclair de lune (1988), John Patrick
Shanley a certainement voulu faire un film qui reflétait ses préoccupations,
refusant de diluer son propos au profit de la comédie. Visuellement, Joe contre le volcan se veut un hommage
aux vieux des années 30 avec ses décors en carton pâte et ses effets spéciaux
fantaisistes.
S’il est vrai qu’un spectateur
juge un film à ses dix premières minutes, on comprendre l’étonnement. Le film
ouvre sur une foule lancinante d’employés qui entrent à l’usine tels des
zombies. La chanson Sixteen tons d’Éric Burdon, avec ses sonorités de marteaux
et d’enclume, accentue l’effet de découragement. Les décors de l’usine sont
ternes, éclairés par des néons vacillant. On y fabrique des testicules
artificielles mais aucun gag n’est vraiment élaboré sur le sujet, on est dans la
métaphore. Seul Dan Hedaya, en patron tyrannique, joue sur le ton de la comédie.
Tom Hanks se traine les pieds, cernés jusqu’aux oreilles, les cheveux trop
longs, rien à voir avec le style bon
enfant qu’on lui connaît. Meg Ryan est méconnaissable en DeeDee, la collègue de
travail dont il est amoureux. Sa chevelure brune mal coiffée et son positivisme
de pacotille la rendent antipathique au premier coup d’œil. Tout cela, bien
entendu, est volontaire. C’est le
premier des cinq tableaux qui composent le film. Chacun possède son éclairage
particulier, sa propre ambiance. Les couleurs vont s’émanciper au fil du récit
et Meg Ryan interprète les trois personnages
féminins qui accompagnent Joe Banks à chacune des étapes.
Le réalisateur refuse de nous
annoncer la couleur. Il n’y a pas d’apartés, d’arrêts sur image ou de scènes
loufoques pour prévenir le spectateur qu’il s’agit bien d’une œuvre fantaisiste.
Quelques références aux films The wall
ou Brazil sont perceptibles mais rien
qui puisse ravir le public-cible de Tom Hanks et Meg Ryan à l'époque. Seul la présence de Robert
Stack (le médecin) et Lloyd Bridges (l’industriel), transfuges du film Airplane, nous indique que l’œuvre est à
prendre au deuxième degré, qu’il s’agit là d’une comédie volontairement
absurde. À l’écran, le ton demeure dramatique, même lorsque Dr. Ellison annonce
à Joe qu’il est atteint d’un nuage
cérébral. Le talent des deux acteurs, qui jouent le plus sérieusement du monde,
empêche les spectateurs de savourer l’ironie. De même, la scène où DeeDee
rompt avec Joe en apprenant qu’il est condamné à mort frôle le pathétisme.
La dépression, l’hypocondrie,
la maladie et l’indifférence sont autant de sujets abordés dans cette première
partie. Joe Banks n’est qu’un pion, sans personnalité ni motivation. On croit y
reconnaître l’Étranger d’Albert Camus. Tout n’est que misère dans cette vie
routière. Les touches d’humour proviennent essentiellement du décalage entre le
jeu des acteurs par rapport à leurs castings habituels.
C’est l’arrivée de Lloyd Bridges
qui plonge sans conteste le film dans la comédie. L’industriel Graynamore semble
tout droit sorti d’une bande-dessiné tellement son jeu est outrancier et
caricatural.
Le talent comique du vieil
acteur culmine lorsqu’il parvient à convaincre Joe Banks que sauter dans un
volcan est la meilleure chose qui puisse lui arriver. Sa fougue nous permet
d’avaler l’explication selon laquelle une vie ordinaire ne vaut pas la peine
d’être vécue, qu’il est préférable d’être riche quelques jours et mourir plutôt
que de vivre sans argent. Le rapport au capitalisme est d’ailleurs très ambigu
dans le film, nous y reviendrons.
Le deuxième tableau nous
transporte à Manhattan où Joe Banks et venu profiter de ses derniers jours. Nous
assistons au premier changement de ton du film. D’une part, la photographie
s’adoucie, les images ternes font place aux ambiances neutres et froides de
New-York, bien que les extérieurs se fassent encore rares. Ensuite et surtout,
Joe procède à un relooking, renouant avec le Tom Hanks aux cheveux courts qu’on
connait. Son jeu gagne en vigueur. La
comédie se fait sentir. Ce ne pas Meg Ryan mais Ossie Davis qui lui sert de
partenaire dans ce tableau, le chauffeur de limousine lui conseille les
endroits plus huppés de la ville. Les difficultés de Joe à assumer son statut
de nouveau riche donnent lieu à quelques scènes amusantes. L’homme sans personnalité se cherche un style,
s’achète un costume chic et des vêtements
d’explorateurs comme on en voit dans les vieux films. Il tente de se lier d’amitié
avec Marshall, son chauffeur, mais
celui-ci préfère rejoindre sa famille. Ce
soir-là, Joe dîne seul. Tous ses achats ne comblent pas son vide existentiel,
mais son cheminement est palpable. Il accepte désormais son sort avec bonne
humeur.
Troisième étape : Los
Angeles, d’où il appareillera pour l’île de Waponi Wu. Nouveau changement de ton et d'éclairage. Il est accueilli à l’aéroport par Angélica,
la fille de Graynamore. En route, ils longent la Pacific Coast Highway, seul
décor naturel du film et pourtant, Joe n’en a cure, affirmant que ça fait un peu
trop décor de cinéma. Le jeu des
faux-semblants atteint son point de rupture. La direction-photo se pare des
couleurs vives, presque qu’agressive, tout comme Meg Ryan qui incarne cette
fois-ci une artiste frustrée et désabusée. Ses cheveux rouges et son allure
hautain évoque le piège des apparences, inhérent à la quête de soi. Alors que DeeDee et Marshall l’ont rejeté,
Angélica aimerait bien passer du temps avec lui. C’est Joe qui refuse,
comprenant qu’Angélica n’appartient pas à son monde. S’il dine seul ce soit-là,
c’est par choix, signe de son évolution.
Maintenant qu’il est mûr, Joe
monte à bord du Tweedle Dee, le bateau qui le mènera sur l’île de Waponi Wu. C’est
Patricia qui supervise l’expédition, la demi-sœur d’Angélica, incarnée par une
Meg Ryan au naturel. La transformation
des personnages est complétée, la comédie romantique peut commencer. Les
extérieurs, quoique magnifiques, sont tournés en studio. C’est du faux réalisme
et on ne s’en cache pas. Le réalisateur se moque du genre, nous en montre les ficelles. Il refuse
qu’on embarque de plein pied dans son histoire, soucieux de poursuivre sa
démonstration. Tout comme Joe, Patricia s’est laissé acheter par son père, acceptant
de faire ce voyage en échange du bateau. Les rapport humain sont monnayables
dans Joe contre le volcan, on tente d’acheter
les autres ou on se laisse acheter. Pour évoluer, Patricia doit perdre son
bateau. Une tempête se lève au large et un typhon, à peine crédible, coule le yacht, confinant nos deux
personnages sur un radeau formé des 4 valises que Joe s’est acheté à New-York, en référence bien sûr à notre bagage personnel, dont on sous-estime souvent
l’importance mais qui s’avère primordial dans l’accomplissement de notre
destin. Cette scène évoque également l’abandon de soi puisque Joe refuse de
boire le peu d’eau qu’il lui reste pour empêcher Patricia de se déshydrater.
Dans une ode à la lune, il remercie Dieu pour sa vie. La lune géante et le décor artificiel enlèvent toute crédibilité à sa
litanie. C’est une parodie des scènes de
rédemption et une mise en abime. qui annonce la suite.
Enfin, nous arrivons au
cinquième et dernier tableau : l’île Waponi Wu. Toute ressemble avec la
réalité est fortuite. Les décors rappellent ceux de Gilligan Island. Les Waponi sont risibles avec leurs paillettes hawaïennes.
Les clins d’œil aux vieux films, dont King Kong, se multiplient et l’histoire
ne cherche aucunement à justifier toutes ces incohérences, bien au contraire. Depuis
que le peuple Waponi a découvert le soda à l’orange, plus personne ne veut sauter
dans le volcan pour apaiser la colère des dieux. Joe, quant-à-lui, accepte de se sacrifier pour honorer sa
promesse. Patricia essaye de l’en dissuader, souligne le grotesque de
l’affaire, mais Joe n’en démord pas. Pour lui, la destination compte moins que
le chemin parcouru, il doit tenir sa promesse. Patricia finit par en convenir et décide
de sauter avec lui. Contre toute attente (sic), le volcan les recrache. L’île
coule tandis que Joe et Patricia se retrouvent seuls au milieu de l’océan. Fort
heureusement, les malles refont surface...
***
Produit par Spielberg, il ne
fait aucun doute que l’intention des créateurs était de détourner le genre. Derrière
ses allures de comédie romantique, Joe
contre le volcan illustre les paradoxes de la condition humaine. On est
loin de la petite morale « crois en tes rêves et ils se réaliseront ».
Ici, les rêves sont des mirages. Chaque personnage
incarné par Meg Ryan verra le sien s’envoler : DeeDee veut ce que
tout le monde veut, Angelica veut la reconnaissance et Patricia veut la
liberté, trois grandes utopies de notre
époque. On ne doit rien désirer, nous dit John Patrick Shanley influencé par la
philosophie orientale. En revanche, il faut garder l’esprit ouvert et se donner
des objectifs. Joe Banks n’a aucun rêve, mais aucune motivation non plus. C’est
un malade imaginaire qui se plaint sans arrêt. Son pessimisme l’empêche de voir
le bon coté des choses, du coup il devient une proie facile pour les
arnaqueurs. Quand on lui annonce qu’il est atteint d’une maladie incurable, il
n’ira pas chercher un deuxième avis, persuadé qu’une mauvaise nouvelle est
forcément vraie. L’auteur s’intéresse à
l’aliénation causée par la consommation, la perte des repères, la quête de
sens et aux chemins détournés que prend le bonheur.
Le
parti-pris d’enrober sa fable d’un visuel clinquant est certainement attribuable
à l’amour du réalisateur pour les vieux films, peut-être doit-on y voir un
hommage à Frank Capra qui appréciait lui aussi les histoires faussement
simplistes. Joe Banks possède en effet la naïveté d’un Mr Deeds.
Malheureusement, les décors en studio passaient mieux à l’époque. Le choix paradoxal de placer les personnages dans des décors de plus en plus irréalistes à mesure qu'ils prennent du mieux est, à tout le moins, audacieux. On peut y voir un pied-de-nez, une invitation à ne rien prendre au sérieux.
John Patrick Shanley, qui est un dramaturge avant tout, cherchait peut-être à se moquer du genre, caricaturer l'univers rose-bonbon des comédies romantiques. C'est d'ailleurs sous cette étiquette que le marketing nous vendait le film à l'époque.
Les spectateurs avaient plus d’une raison d’être déçus. En 1990, Tom Hanks est encore un acteur comique dont les comédies bouffonnes visent essentiellement à nous dilater la rate. Meg Ryan, quant à elle, sort à peine de Quand Harry rencontre Sally. Réuni pur la première fois à l'écran, le duo avait de quoi faire rêver. On s’attendait à voir une comédie légère, rocambolesque et fleur bleue, on a eu droit à une fable ambiguë. Morale de l’histoire : à vouloir sauter trop loin, on fini par se brûler.
John Patrick Shanley, qui est un dramaturge avant tout, cherchait peut-être à se moquer du genre, caricaturer l'univers rose-bonbon des comédies romantiques. C'est d'ailleurs sous cette étiquette que le marketing nous vendait le film à l'époque.
Les spectateurs avaient plus d’une raison d’être déçus. En 1990, Tom Hanks est encore un acteur comique dont les comédies bouffonnes visent essentiellement à nous dilater la rate. Meg Ryan, quant à elle, sort à peine de Quand Harry rencontre Sally. Réuni pur la première fois à l'écran, le duo avait de quoi faire rêver. On s’attendait à voir une comédie légère, rocambolesque et fleur bleue, on a eu droit à une fable ambiguë. Morale de l’histoire : à vouloir sauter trop loin, on fini par se brûler.
Et vous ! Quels sont vos films
à redécouvrir ?
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