Mais aussi une manière d’élargir son public : Arnold Schwarzenegger (Un flic à la maternelle), Hulk Hogan (M. Nounou), Vin Diesel (Le pacificateur), Dwayne Johnson (Plan de match), Jackie Chan (L’Espion d’à côté) et même Clint Eastwood (Grant Torino). Citons au passage John Candy (Oncle Buck) et plus récemment Jonah Hill (Gardien d’enfants). La liste des nounous mal embauchées est longue.
Bill Murray a probablement voulu
donner sa chance à un jeune réalisateur comme il l’avait fait avec Wes Anderson
(Rushmore) et Sophia Coppola (Traduction infidèle), espérant en tirer les mêmes
bénéfices, à savoir l’image d’un acteur complet et découvreur de talent. Si St-Vincent
fait carrière, ce sera grâce à lui, assurément. Son allure et sa prestation
nous donnent même l’impression parfois qu’on assiste à un film hors-norme, presqu’audacieux,
mais il n’en est rien. En sommes, Murray reprend le rôle que Walter Matteu (Denis
la menace) a tenu toute sa carrière, l'éternel bougon au grand cœur. La
bouche pâteuse et les regards coulants sont des emprunts à peine voilés à
l'acteur aujourd'hui décédé.
On a vu mille fois cette
histoire du vieux grincheux et du jeune timoré qui s’aident mutuellement à
donner un sens à leurs vies. Personnellement, je suis preneur, à condition que
ce soit bien fait et surtout, que j’y crois. Pas ici. Il y a trop d’éléments artificiels, à commencer par les personnages
secondaires. Noami Watts dans le rôle d’une prostituée russe manque cruellement
de crédibilité. Non pas qu’elle soit mauvaise mais son personnage aseptisé rappelle un peu trop celui de Julia Robert dans Une jolie femme.
Quant à Melissa McCarthy, elle s’éclipse littéralement. Vous souvenez-vous de
la mère de Daniel LaRusso dans Karaté Kid ? Non ! Bien, c’est un peu la même
chose. Le film n’en a que pour Bill
Murray.
Passant de la comédie assumée
au mélodrame convenu, les éclats de rire du début se meuvent peu à peu en sourire polis. On
comprend vite que St-Vincent n’ira pas trop loin, admission générale oblige. L’humour fait place aux bons
sentiments quand vient le temps de dénouer les thématiques du film, ainsi les
problèmes de jeu compulsif et d’endettement du personnage seront glissés sous
le tapis, ni vus, ni connus, au troisième acte.
En sortant de la salle, je n’ai pu m’empêcher de repenser au film Comme un garçon avec Hugh Grant. Voilà une histoire de nounou mal embauchée qui renouvelait le genre. D’ailleurs les deux finales, qui se ressemblent étrangement, prouvent à quel point une thématique bien développée parvient à nous faire avaler les conventions les plus improbables. Dommage que le réalisateur Theodore Melfi n'ait pas fait se devoirs.
ANALYSE DE L’ŒUVRE
Karaté Kid chez Bukowski
On ne s’embarque pas dans ce
genre de film sans voir ce qui s'est fait auparavant. Même les studios
refuseraient d’investir dans un projet semblable sans une quelconque valeur
ajoutée. Jimagine assez bien Theodore Melfi dire aux producteurs « C’est
un mélange entre Karaté Kid & Charles Bukowski ! ».
Elle est là l'originalité de St-Vincent : confronter le gamin non pas à un sage oriental
ou un dur-à-cuir, mais à une épave humaine, alcoolique, voleur, menteur, joueur compulsif et fainéant. L’idée
en vaut bien d’autres. Pourquoi pas, après tout ? Surtout si c’est Bill Murray
qui tient le rôle.
Encore faut-il aller
jusqu’au bout, pondre une histoire cohérente à partir de cette prémisse.
Voilà la recette du succès. La satisfaction du spectateur passe par le
sentiment que le film a fait le tour du sujet, qu’on est allé aussi loin que possible.
Si je me réfère une fois de plus à Comme
un garçon (Paul Weitz,
2002), la dépression de la mère est autant matière à rire (les maladresses de
Hugh Grant sur le sujet) que véritable moteur de l’histoire (le garçon qui veut
lui rendre hommage dans son spectacle à l’école). Le thématique n’est pas rose
bonbon, ni facile à traiter. Pourtant, le film demeure léger et franchement
drôle par moment.
Theodore Melfi voulait faire un
film audacieux, on le sent bien (La prostituée enceinte qui danse aux tables
malgré son ventre proéminent en est un bon exemple). En gardien décadent, Bill Murray boit,
fume, amène le gamin dans les bars et sur les champs de course. Jusqu’ici tout va
bien. C’est ce qu’on est venu voir. On veut rire des travers d’un type tombé en
disgrâce. C’est le sujet du film et le seuil d’acceptabilité du spectateur est
grand ouvert. Cependant, il n’est pas facile d’aller à fond dans ce genre d’histoires.
D’une part, il y a le classement à respecter (Admission générale) et d’autre
part, il y a les limites de l’imagination.
La référence à Karaté Kid est
évidente. La prémisse est exactement la même : Une mère monoparentale et
son fils arrivent d’un autre état. Ils emménagent dans un quartier qui ne les
enchante guère. Le garçon a maille à partir avec ses camarades de classe qui le
tabassent sans vergogne. Heureusement, le voisin est là. Grâce à lui, le jeune timoré apprendra à se
battre et à se faire respecter. Bien entendu, dans ce cas-ci, ce n’est pas la
sagesse orientale qui est à l’œuvre, mais la roublardise d’un vieil ivrogne.
Une bonne histoire de ce genre
implique forcément une transformation intérieure, voire une prise de
conscience. Attention, ce n’est pas un cliché mais un impératif scénaristique.
Sans cette transformation, le film aurait l’air au mieux d’une série de sketchs
réussis, au pire d’une œuvre inachevée. Bien sûr, le personnage doit rester
lui-même jusqu’au bout avec en prime, une ouverture d’esprit nouvelle. Telle
sont les règles. Certes, on peut les contourner mais dans ce cas, il fait être
prêt à renouveler le genre, au risque de s'aliéner le grand
public.
Le péché de Theodore Melfi fut
d’éviter à son personnage d’avoir à payer pour ses fautes. Péché mortel si l’on
considère le parti-pris religieux de l’œuvre. Depuis le début, on sait que
Vincent est un joueur compulsif, endetté jusqu’au cou. Le bookmaker veut son
argent et les subterfuges du vieux cabotin pour éviter de le payer sont amusants, d’autant plus qu’on
imagine la suite. Nous savons tous qu’il aggrave son cas. Tôt ou tard, le bookmaker
va se fâcher. C’est la trame que Theodore Melfi a choisie de nous présenter. Il
peut la développer ou la contourner. La seconde option implique un retournement
de situation. Soit il double la mise, soit il fait table rase des enjeux du
film. C’est malheureusement la tangente que prend le récit. Le bookmaker est
sur le point de tabasser Vincent lorsque celui-ci s'effondre, victime d’un AVC au cerveau.
Le bandit prend la fuite et voilà, c'est terminé. Morale de l’histoire :
endettez-vous jusqu’au cou et tombez malade ! Vos créanciers vont s’envoler comme
par magie. Un peu de rééducation et voilà Vincent prêt être
canonisé.
Pire encore, la prostituée
incarnée par Noami Watts devient littéralement femme en foyer suite à la
maladie de Vincent, comme si on avait passé Journal
d’un vieux dégueulasse à la moulinette Disney. C’est du moins l’impression
que donne St-Vincent après coup. Voilà un film qui a choisi la
facilité, misant sur la popularité de ses interprètes pour faire recette plutôt
que d’affronter le sujet qui était à l’origine du projet. On ne reprochera
pas à Bill Murray de tout faire pour donner vie à l’ensemble. Ses grands yeux
tristes savent à la fois nous faire rire et nous émouvoir. Son personnage est
le mortier qui permet à toutes ces scènes disparates de tenir ensemble. Il est bon,
excellent même, mais pas au point d’épargner au film un châtiment bien mérité.