mercredi 15 octobre 2014

Les apparences

Je ne suis pas un inconditionnel de David Fincher. En regardant Gone Girl, j’ai enfin compris pourquoi. Son dernier film ressemble à une séance de maquillage devant le miroir. Entendons-nous, sa mise en scène est formidable. Tant au niveau de l’intrigue que des ambiances, c’est du bouillon de poulet pour l’âme des cinéphiles. Mais comme dirait mon père, c’est un peu trop arrangé avec le gars des vues.
En ce qui me concerne, ce n’est pas un défaut. J’adore les films qui jouent avec le spectateur,  nous renvoient une image déformée de nos travers et s’adonnent avec délectation aux jeux d'ombres et de lumière. À bien des égards, Fincher appartient au club des Stanley Kubrick et Christopher Nolan. Mais pas Gone girl, désolé, c’est une œuvre mineure.  Difficile de la comparer à Seven, Fight club ou encore The social network. On est plutôt dans la catégorie des Panic Room, Benjamin Button et The girl with dragon tatoo.  Chez lui, il y a les films qui jettent un regard sur la société et ceux qui se regardent eux même; la frontière entre les deux est toujours mince, c’est ce qui fait sa marque en tant qu’auteur.
La disparition d’une femme, le jour anniversaire de son mariage, nous promettait un voyage en eaux troubles. C’est le cas. L’intrigue est bien amenée et les indices retrouvés s’avèrent plus énigmatiques les uns que les autres. Malheureusement, il y a ce récit en parallèle, dénué d’émotions, à l’image des personnages, nous rappelant  que nous sommes dans une histoire bien construite.   Là où Fight Club se transformait en  véritable critique sociale, Gone girl se contente de souligner l’intelligence de son propre scénario. Ce n’est déjà pas si mal, me direz-vous, et c’est vrai.
Le problème, c’est qu’il ne faut pas trop réfléchir après le film. On réalise alors que les policiers ont mal fait leur boulot, que la réaction de certains protagonistes  est incohérente  et que le mystère entourant le fameux cabanon tient de la pirouette scénaristique.  On aurait aimé que Fincher explore davantage la motivation de ses personnages au lieu d’exécuter une peinture à numéros. En sommes, il refait la même erreur qu’avec Millénium, négligeant le contexte au profit du mystère. Il en ressort un film habile mais parsemé d'invraisemblances qui rend la conclusion acceptable seulement au deuxième degré, en tant que critique virulente de moeurs américaines.  
D’ailleurs, il est intéressant de le comparer à Mystic River qui faisait, en quelque sorte, le pari contraire. Chez Clint Eastwood, le rythme plutôt lent de l’histoire donnait aux acteurs toute la latitude nécessaire pour approfondir leur personnage. Le drame humain primait sur l'enquête policière alors que Fincher plonge les siens dans une intrigue tentaculaire où les émotions tiennent lieux d'apparences. Il en résulte deux films imparfaits, certes, mais dont on ne peut s’empêcher de croire que la fusion aurait pu aboutir à un véritable chef d’œuvre…







ANALYSE DE L’ŒUVRE
La motivation d’Amy
À lire les critiques dithyrambiques autour du film et les analyses profondes de Gone Girl décrivant l’œuvre comme une satire de l’Amérique ou une métaphore du féminisme 2.0, je me suis demandé si j’étais le seul à être resté tiède devant le dernier long-métrage de David Fincher. La réponse est non. Plusieurs cinéphiles m’ont avoué ne pas avoir été enchantés. La fin, à nos yeux, est décevante.   Pourtant, elle est tout à fait cohérente d’un point de vue analytique, si l’on considère Gone Girl d’abord comme une oeuvre satirique, une allégorie, à prendre au second degré.
J’en conviens. Il ne fait aucun doute que Fincher gratte un bobo. La question n’est pas là. Quand on regarde un film, notre premier réflexe est d’embarquer  dans l’histoire, surtout si l’approche se veut réaliste. C’est le cas ici. Bien que la trame soit fictive, on nous demande d’y croire, de considérer la situation comme étant plausible. Le début du film en particulier joue sur les cordes sensibles du drame vécu; la disparition d’un être cher, l’enquête policière, tout cela nous incite à nous identifier à la situation.   
Avant de poursuivre l’analyse de Gone Girl, attardons-nous aux codes du film réaliste. Ils se résument à ceci : Il faut y croire. C’est tout. Le réalisateur doit « blinder » son histoire, c'est-à-dire la rendre irréprochable au niveau de la cohérence. Si les faits et gestes ne sont pas crédibles, le plaisir du spectateur s’en trouve menacé. En bon français : « il décroche ». Règle général, on utilise une mise en scène invisible, de sorte que spectateur oublie qu’il regarde un film. On cherche à confondre la fiction et la réalité.
Sur le plan de la structure, Fincher y parvient. Le film tisse adéquatement sa toile. Le problème, c’est la motivation des personnages, en particulier celles d’Amy. Pourquoi agit-elle de la sorte ? Au second degré, la question offre une multitude de choix de réponses. Au premier degré toutefois, la réponse reste nébuleuse. Ce n’est pas l’argent, quelques milliers de dollars ne justifient pas toute cette mise en scène. La vengeance peut-être ?  C’est du moins ce qu’Amy laisse entendre. On comprend également, grâce à ses anciens amants, que la blonde angélique est une véritable sociopathe sans cœur ni principes. Oui, bon, mais encore.  Le stratagème d’Amy pour ruiner la vie de son mari est à ce point complexe que la finale en devient absurde.
Bien sûr, il y a cette scène où Amy est émue par le témoignage de son mari à la télévision. C’est ce qui explique sa décision de revenir auprès de lui. Lue au second degré, cette justification est suffisante. Mais dans le contexte du premier degré, la pauvre s’est donnée beaucoup de mal pour finalement revenir à son point de départ. Dans le jargon consacré, on appelle ça une méchante, un personnage qui fait le mal pour le mal. Dans un film de super-héros ou une série B, c’est suffisant. Mais dans un film sérieux, le spectateur est plus exigeant. Même les antagonistes hitchcockiens ont une motivation (récupérer le microfilm). Dans le cas d’Amy, son retour est motivé par la perte de son argent et pour échapper à l’emprise d’un amant obsédé. Ça peut se comprendre, oui bon peut-être, mais ça n’explique toujours pas la raison de départ. Si son stratagème avait fonctionné, elle s’enfuyait avec une petite liasse d’argent (50 000 $ tout au plus),  tenue pour morte, sans identité ni d’endroit où se réfugier, on peut se demander comment de temps aurait durée sa cavale.
Mais jouons-le jeu. Partons du fait qu’Amy est une sociopathe qui réfléchit beaucoup à ses mauvais coups mais peu à son avenir. D’ailleurs, elle envisage même de se donner la mort pour mieux se venger de Nick. Bon, Amy est une psychopathe brillante mais écervelée, soit ! Mais Nick, lui ? Pourquoi la laisse-t-il revenir ? Pourquoi se sent-il prisonnier de la situation ? Par culpabilité, dit-il. Au second degré, cette déclaration explique bien des choses. Mais au premier degré, une réaction normale aurait été de dire : Minute ! Tu as essayé de ruiner ma vie ! Tu voulais me voir condamné à mort (on est au Missouri) ! Tu t’es arrangée pour que ma sœur jumelle soit accusée de complicité ! Me semble que c’est impardonnable. Et malgré tout, Nick reprend sa femme. Son aliénation a de quoi faire saliver les adeptes du second degré mais beaucoup de spectateurs, dont moi,  y voient un raccourci, une pirouette facile en guise de finale. Non pas que j’aurais voulu que la méchante paye pour son crime, ça n’a rien à voir. J’aurais voulu que les personnages soient cohérents avec eux-mêmes.
Le film veut nous faire croire que c’est l’influence des médias qui motivent leurs décisions. En ce sens, Fincher tient un discours didactique, très répandu dans la société. Son message aurait été encore plus fort s’il avait su donner à ses personnages des motivations crédibles. Je pense ici à « Seven », l’un de ses premiers films où il parvenait très bien à transcender le premier degré grâce, justement, aux motivations du psychopathe. Le fait que celui-ci agissait pour des motifs religieux permettait au film de mieux nous interroger sur nos propres valeurs. Le message était à la fois plus complexe et mieux élaboré. On s’est tous demandé ce que nous aurions fait à la place de Brad Pitt: tuer ou rester civilisé ?  Le film nous ramenait à une question fondamentale, à nos instincts primaux. Ce ne n’est pas le cas avec le personnage de Nick dans Gone Girl. La seule question que pose sa réaction concerne la cohérence de l’intrigue. Mais bon, puisque David Fincher est devenu un demi-dieu pour bon nombre de cinéphiles, laissons-les communier en paix.    

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