mercredi 28 janvier 2015

Wall Street vs Le secret de mon succès

Sortis à quelques mois d'intervalles en 1987, Wall Street d'Oliver Stone et Le secret de mon succès d'Herbert Ross ont plusieurs points en commun. Tous deux racontent l'ascension d'un jeune ambitieux dans le monde des affaires, les personnages principaux vont mentir à leurs patrons pour arriver à leur fins et tous deux vont y parvenir en mettant au point une OPA, c'est-à-dire un rachat hostile d'une compagnie par une autre. Dans le milieu financier, il n'y a pas d'opération plus sauvage qu'une OPA. Le film d'Oliver Stone, qui s'adresse aux adultes, se conclu sur une dénonciation du rêve américain. Bud Fox (Charlie Sheen) termine en prison. Au contraire, dans Le secret de mon succès, qui s'adresse aux adolescents, le héros remporte une victoire totale. Grâce à cette OPA,  Brantley Foster (Micheal J. Fox) réalise son rêve de devenir riche et puissant.

Vous me voyez venir. Même si Le secret de mon succès est traité sur le mode de la comédie, il encourage néanmoins les jeunes à admirer les requins de la finance. De même, Gordon Gekko (Micheal Douglas) est un personnage fascinant et mille fois plus intéressant que Bud Fox, le moraliste du film. Dans un cas comme dans l'autre, on en sort avec l'envie de devenir riche.  La véritable morale qui en émerge, peu importe la conclusion, c'est que les principes moraux sont un frein à la réussite financière. 

Bien sûr, ce n'était pas l'intention des créateurs. L'un voulait dénoncer le capitalisme sauvage et l'autre cherchait seulement à nous divertir. Le premier a raté sa cible en créant un antagoniste trop charismatique (le suave Gordon Gekko) et le second est allé trop loin en permettant au héros d'obtenir le beurre, l'argent du beurre et le cul de crémière (un happy end complet). Mentionnons à leur décharge que les "Eighties" vivaient une lune de miel avec le monde de la finance. La révolution des années 60-70 était terminée. Les baby-boomers avaient passé l'âge des idéaux farfelus, ils rêvaient maintenant de stabilité et de croissance économique.


STRUCTURE NARRATIVE

Voyons les similitudes. Outre leurs initiales, B.F des deux personnages, tant Bud Fox que Brantley Foster arrivent de la banlieue, tous deux issus d'une famille modeste, le père du premier est mécanicien, l'autre fermier. Les parents n'approuvent pas leur ambition démesurée, mais les laissent poursuivre leurs rêves. Arrivés à New-York, ils vivent dans un logement minable et passent leur temps libre à éplucher des bilans comptables.  L'un rêve de travailler avec Gordon Gekko, le plus gros financier de Wall Street, l'autre de devenir cadre supérieur dans la multinationale dirigée par son oncle. Pour y parvenir, Bud devra commettre plusieurs délits d'initiés et Blantley usurper l'identité d'un cadre qui vient d'être congédié. Leur "audace" s'avère payante. Bud commence à faire beaucoup d'argent tandis que Brantley met au point un plan de restructuration susceptible de sauver la compagnie. Autre similitude non négligeable, tous deux tombent amoureux d'une fille out of their ligue qui s'avèrent être les maîtresses de leurs patrons respectifs. L'essentiel de l'intrigue dans les deux cas consiste à devenir riche sans se faire prendre. Finalement, Bud et Brantley réaliseront que leurs patrons sont des escrocs et se vengeront en montant une OPA.

Les points de divergences concernent essentiellement le genre cinématographique auquel chaque film appartient. Wall Street est un drame réaliste construit comme un suspense. Le secret de mon succès est comédie romantique basée sur des quiproquos amoureux. Chemin faisant, Bud Fox traverse une crise existentielle qui le force à se remettre en question alors que Brantley Foster, pas du tout. Bien entendu, la distinction la plus notable réside dans la conclusion. L'un perd et l'autre gagne. C'est loin d'être anodin quand il s'agit de magouille financière. On peut s'étonner que des studios différents (20th Century Fox & Universal) aient produits, en même temps, 2 films qui s'adressent à des publics différents, mais dont les personnages principaux partagent la même quête, feront face aux mêmes obstacles et emploieront le même stratagème pour gagner. Il faut croire que c'était dans l'air du temps.

ÊTRE OU NE PAS ÊTRE...SUBVERSIF.

Voyons un peu le contexte. Les deux films sortent pendant la glorieuse époque de Ronald Reagan et de son conservatisme triomphant. L'économie est  au coeur de toutes les préoccupations. À la télévision, c'est le règne des gens riches et célèbres,  Dallas et  Dynastie en têtes. Chaque semaine,  des millions de spectateurs veulent savoir quelle escroquerie J.R. Ewin a encore concocté pour duper ses adversaires. Autrement dit, au milieu des années 80, dans la culture populaire, s'enrichir sur le dos des autres est une chose admirable, à tout le moins divertissante.  Quand Gordon Gekko proclame "Greed in good", le spectateur sourit. On admire ces gens-là. "Si seulement j'avais moins de principes", se dit le téléspectateur en regardant son feuilleton préféré. 

Wall Street d'Oliver Stone se veut une critique acerbe du milieu financier et de la société en général. Le secret de mon secret, en revanche, cherche seulement à divertir et amuser le public. L'un est un film d'auteur porté par un réalisateur contestataire. L'autre est une commande fabriquée sur mesure pour sa vedette principale Michael J. Fox, tout juste auréolé par le succès de Back to the future. Notons qu'il retrouvait avec le personnage de Brantley Foster un rôle similaire à celui qui tenait dans Family ties, la série télévisée qui l'a fait connaître. Les producteurs recyclaient donc une formule gagnante qui collait bien à l'acteur. Oliver Stone aussi surfait sur une vague mais d'une manière différente. Son portait vitriolé du monde de la finance donnait l'impression qu'il allait à contre-courant, qu'il s'en prenait à l'establishment. Son film semblait subversif alors qu'en réalité, il est tout pétrie de moralité. Le contraire du Secret de mon succès, inoffensif  à première vue mais tordu dans sa morale sous-jacente. En fournissant au héros toutes les justifications nécessaires pour lui permettre de triompher, le film livre un message des plus clairs: la fin justifie les moyens...

Dans Wall Street, tous les personnages sont corrompus par leur propre ambition, le fameux Rêve américain, à l'exception du père de Bud qui se contente de ce qu'il a dans la vie. Paradoxalement, ce même Rêve américain anoblit Brantley Foster qui, par ambition, va usurper l'identité d'un cadre supérieur et confondre le C.A. de la compagnie. L'opportunisme du personnage est justifié par un cafouillage bureaucratique qui rend possible son entourloupe. Jamais Brantley n'aura à souffrir moralement pour son ambition. Au contraire, elle est présentée comme un exemple de courage et de détermination.

Bien entendu, pour fin de comparaison, j'ai mis les deux films sur un pied d'égalité alors qu'en réalité, Wall Street est devenu un classique du cinéma alors que Le secret de mon succès a sombré dans l'oubli. Étrangement, ce dernier avait fait beaucoup mieux au Box-office en 1987: 110 million de recettes contre 80 pour Wall Street, bien que cela ne tienne pas compte de la longévité en vidéo du film d'Oliver Stone. Ça montre quand même que  l'idéologie derrière Le Secret de mon succès plaisait au public de l'époque constitué en grande partie d'adolescents. On se régalait de voir un jeune ambitieux prêt à tout pour devenir un requin de la finance.

C'est facile de juger avec 30 ans de recul. Il est intéressant de mettre en parallèle ces deux films avec la suite de Wall Street Money never sleep , sorti en 2010. Dans cet opus, Gordon Gekko ne cesse de répéter que le monde de la finance est pire qu'avant, mais lui-même apparaît bien édenté comparé à ses frasques originales. Il commettra une petite escroquerie à la fin du film et s'en excusera aussitôt, tout le contraire de son tempérament d'autrefois. Les bad guys d'aujourd'hui qui pullulent dans les séries télévisées telles que Beaking Bad, House of cards, Sons of Anarchy et cie ont tous mauvaise conscience. C'est la condition sine qua non pour vivre dans le péché.

À l'heure où les super-héros font la pluie et le beau temps au cinéma, le conservatisme moderne se dissimule sous un masque de justice sociale. La loi du "chacun pour soi" est toujours en vigueur mais préfère se garder une petite gène. Il y a fort à parier que si on faisait un remake du Secret de mon succès aujourd'hui, Branltey Foster retournerait vivre dans l'Arkansas avec son amoureuse, à nourrir ses poules, tandis que son bras droit à New-York veillerait au bon fonctionnement de l'entreprise. De nos jours, le nec plus ultra, c'est d'être au sommet sans en avoir l'air.


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dimanche 25 janvier 2015

Le jeu de l'imitation


Pressenti avant noël pour être l'un des favoris dans la course aux oscars, il apparaît aujourd'hui peu probable que le long-métrage de Morten Tyldum reparte avec la statuette du meilleur film cette année. Au mieux Benedict Cumberbatch damera le pion à Michael Keaton mais j'en doute. Comparé aux autres nominés, Le jeu de l'imitation ressemble à un aristocrate dans un concert rock. Son classicisme ne fait pas le poids devant l'audace et la créativité de ses concurrents.   À trop vouloir donner le beau rôle à un seul acteur, le film se perd en conjectures et ne s'appuie, au final, que sur les faits historiques pour insuffler à l'ensemble une certaine grandeur.

Il est vrai que l'histoire d'Alan Turing n'est pas facile à raconter. Non seulement il fut un mathématicien de génie, c'était aussi un autiste Asperger et un homosexuel refoulé. Les créateurs ont voulu nous épargner des explications compliquées sur les maths et le décryptage pour se concentrer sur les difficultés de Turing à communiquer avec son entourage. 

Le film explore 3 périodes de sa vie: sa jeunesse où il découvre sa sexualité et ses talents de décrypteur, ensuite la fabrication de cette machine qui permettra aux Alliés de déchiffrer les codes nazis et enfin les dernières années de sa vie où il sera ostracisé à cause de son homosexualité.  L'alternance de ces 3 périodes visent essentiellement à nous faire comprendre à quel point Alan Turing est un homme qui a souffert. 

Or, en choisissant l'angle du "human interest", les créateurs passent à coté du vrai sujet, à savoir comment fonctionnait l'esprit de cet homme. Bien sûr,  adopter un angle plus technique comportait des risques. Les spectateurs ne sont pas des mathématiciens. Moi le premier. Par contre, j'aurais voulu connaître les différentes déductions qui ont permis à Turing de concevoir sa machine. Quand je regarde un film comme Moneyball, je ne comprends rien aux statistiques dont il est question. L'important,  c'est de savoir comment ces statistiques influencent le jeu. Dans les deux films, le but est de convaincre les septiques au plus vite. C'est une course contre la montre. Moneyball y consacre plusieurs scènes.  En revanche, Imitation Game ne fournie aucune explication. Les septiques se rallient comme par magie quand le commandant menace de congédier le génie incontrôlable.  Du coup, le coeur de l'intrigue, cette fameuse machine à décrypter, reste un mystère complet, un objet désincarné que notre héros appelle affectueusement Christopher. Personne sauf lui ne sait comment elle fonctionne. Du point de vue narratif, elle agit comme un obstacle entre Turing et son entourage. Lui seul  la comprend, les autres non (incluant le spectateur). L'intrigue se focalise entièrement sur ce génie bizarre, incapable de communiquer ni sa passion, ni ses idées. On est forcé de s'identifier à lui parce que les tous les autres personnages se contentent de faire de la figuration.

Par ailleurs, en divisant l'histoire en 3 périodes, dont 2 mettent l'accent sur l'homosexualité de héros, les créateurs ont fait un choix prudent. EN 2015, l'injustice dont il a souffert nous apparaît aberrante. Il fallait certes aborder le sujet pour bien cerner le personnage, mais le film louvoie dans ce domaine. On en parle beaucoup sans jamais créer de véritables tensions dramatiques. À l'inspecteur qui l'interroge, il racontera son histoire classée «top secret» et finira par être accusé de grossière indécene, réduisant l'interrogatoire à un astuce scénaristique, une ellipse maladroite qui fait le pont entre une conversation fictive (je suppose) et des faits réels.

On peut se questionner sur la pertinence de ce troisième axe narratif.  J'imagine mal Turing révélé à un simple policier toute l'histoire. Si Alan Turing s'est retrouvé devant les tribunaux à cause de son homosexualité, pourquoi utiliser l'interrogatoire comme un prétexte pour parler d'Enigma ? Non seulement c'est peu crédible d'un point de vue historique mais en plus, ce procédé malhabile trahit le manque d'aplomb des auteurs face au sujet.

Toute l'oeuvre et l'esprit d'Alan Turing était vouée au décryptage, lui-même se fichait de ne pas être normal (c'est du moins ce que le film prétend). La question  est de savoir si Turing aurait voulu être dépeint de cette manière. Je n'accuse pas les créateurs du film. Ils ont faits des choix artistiques. En ce qui me concerne, la question se pose chaque fois qu'une biopic s'attarde plus à la vie personnelle qu'à l'oeuvre d'un personnage historique. Je pense ici à Chaplin de Richard Attenborough ou Jerry d'Alain Desrochers, deux films qui accordaient plus d'importance aux déboires sentimentaux de l'artiste qu'à sur sa contribution au monde de l'art. Sans dire que Le jeu de l'imitation va aussi loin, il reste que les auteurs ont préféré multiplier les anecdotes plutôt que d'approfondir un sujet.

En conclusion, Le jeu de l'imitation est une bonne biopic, conventionnelle et efficace, qui lève le voile sur un fait méconnu de l'Histoire récente mais qui aurait gagné à être traité avec plus d'audace.

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mercredi 21 janvier 2015

Nos étoiles contraires


Il y a de ces films qui nous prennent à la gorge sans prévenir. Je donnais 20 minutes à cette guimauve pour adolescents, le temps de préparer mon souper et basta, une demi-heure gros max.  Moi, les amourettes d'une fille à moitié morte, avec des tubes à oxygène dans le nez, qui reprend goût à la vie après avoir rencontrer le gars parfait: Non merci  ! Ma propre condition d'homme célibataire de 42 ans à moitié désabusé ne me permet pas ce genre de luxe. Et bien mes amis, j'ai été agréablement surpris.

The fault in our stars est l'un  de ces petits films sans prétention qui réussi l'exploit peu banal d'être un feel good movie à propos la mort.

Si l'histoire d'amour est typiquement hollywoodienne (trop belle pour être vrai) la narration, elle, surprend dès le départ, Hazel nous annonçant d'emblée qu'elle en a marre des films sur le cancer et des clichés habituels. Heureuse nouvelle en effet puisque c'est aussi mon cas !  La seule raison pour laquelle j'ai loué ce DVD (ben oui, j'en suis encore là), c'est parce qu'il était disponible à la bibliothèque et donc gratuit. Mon scepticisme n'en était pas moins vif et purulent, comme un gros bouton tout blanc qu'on s'apprête de péter. 
Au bout de quelques minutes, me voilà séduit par l'ambiance légère et rigolote de ce teenage movie hors norme. Non seulement la mort est abordée de front mais en plus, les personnages s'en accomodent fort bien. Ils sont jeunes, ils sont beaux et mourir est, ma foi, leur passe-temps favori. Quand une scène lorgne vers le cliché, un élément incongru vient aussitôt détourner mon attention. Les choses sont dites et vécues à la manière d'un drame mais jamais l'histoire ne sombre dans l'apitoiement, à croire que cette bluette a été écrite pour une cyniques dans mon genre.

La grande thématique du film, ce n'est pas la mort mais l'importance de ne pas arrêter de vivre pour autant. Les deux personnages principaux ont déjà fait leur deuil, c'est réglé. Sans avenir, avec un passé miné par de faux espoirs de guérison, ils n'ont plus que le présent à s'offrir mutuellement.  Et c'est peut-être dans grande vérité universelle que réside toute la magie du film: se concentrer sur le moment présent, quel que soit notre qualité de vie.  Quand un tel propos est amené  avec autant de charme et de lucidité: difficile d'y résister.

Le parti pris du film, c'est de laisser les personnages secondaires vivent le drame en tant que tel. Laura Dern, dans le rôle de la mère, nous fait comprendre à quel point la résilience est un processus volontaire. Toujours prête à aider sa fille, le sourire aux lèvres, on sent néanmoins la peur et l'appréhension dans son regard, elle qui cherche déjà à donner un sens à sa vie après que son enfant aura disparu. L'ensemble des personnages secondaires offre d'ailleurs un beau portrait des idées reçues dans notre société face  la mort. À ce chapitre, les scènes avec l'écrivain sont particulièrement savoureuses. Le cancer lui-même est relégué au rang de personnage secondaire. On ne cherche pas à nous enterrer sous une tonne d'informations médicales, ni à dénoncer le réseau de la santé. Les scènes d'hôpitaux sont courtes et ellipsées, non pour éviter le sujet mais parce que c'est leur lot quotidien.

Tout est là: dans cette manière positive d'aborder un sujet aussi dramatique. La maladie a déjà gagné et du coup, elle n'a plus d'emprise, ni sur le récit, ni sur les personnages. C'est comme si le film nous racontait le troisième acte du tragédie où les protagonistes s'acharnent à s'offrir un happy end. On ne trouve pas, comme souvent au cinéma, d'éléments perturbateurs qui poussent nos héros (ou anti-héros) à se remettre en question. L'audace et la beauté de The fault in our stars  est de fonctionner presque sans aucun ressort dramatique outre la prémisse du départ. On mise essentiellement sur l'attitude débonnaire des personnages et leur quête de bonheur.

Il est rassurant de voir qu'on produise de nos jours des films pour adolescents sur des sujets aussi délicats. D'ailleurs, l'audace fut payante. Avec un coût de production de 13 millions, le film en a récolté presque 300 à l'échelle mondiale, preuve que la jeunesse n'est pas effrayée par les sujets difficiles. Bien sûr, tout est une question de dosage. On croit souvent - à tord - que les films d'auteurs sont des oeuvres plus profondes parce qu'ils sont plus lourds. Le rythme et l'humour de The fault in our stars en font une oeuvre beaucoup plus facile à digérer, mais sa pertinente demeure. Souhaitons que plus d'auteurs prennent cette direction.
La réalisation effacée de Josh Boone s'efforce surtout à mettre en valeur un scénario bien ficelé où l'intensité des émotions est constamment mise en abîme de manière efficace. On reprochera à l'ensemble quelques clichés contournables. Il va sans dire qu'on ne se lance pas dans un mélodrame sans essayer de stimuler un brin les glandes lacrymales du spectateur. En ce qui me concerne, ils ont réussi. Ce mélange de goût de vivre et de lucidité m'ait allé droit au coeur.

Shailene Woodley et Ansel Elgort, tous deux transfuges de la série Divergence, livrent des interprétations à la fois touchantes et crédibles. Woodley est particulièrement douée pour jouer tout en retenue. Encore une fois, Laura Dern prouve qu'elle est l'une des plus grandes actrices de sa génération. Malgré sa courte présence à l'écran, elle parvient à nous faire sentir tout son parcours de mère.

En sommes, un petit film à découvrir, plein de qualités et d'audaces avec, par-ci par-là quelques défauts qu'on aura vite fait de pardonner.

jeudi 15 janvier 2015

Birdman


À trop vouloir faire le tour d'un sujet, on le vide parfois de sa substance. C'est un peu l'impression que m'a laissé Birdman à sa sortie.
Le film ne manque pas de qualités pourtant, ni d'ambitions. Les acteurs sont bons, le sujet est pertinent et la caméra filme les coulisses du théâtre comme un vrai labyrinthe. Rarement a-t-on vu des travellings aussi complexes, alternant dans un même plan séquence : fiction et réalité, passé et présent, drame et humour. Non seulement la mise en scène est impressionnante mais elle confère au film cette ambiance particulière, chaotique et teintée de voyeurisme.

Birdman, c'est le super-héros qu'incarnait Riggan Tompson avant de tourner le dos à la franchise pour s'émanciper en tant qu'acteur. Son désir d'accomplissement a fait de lui un has been et, 20 ans plus tard, il tente de redorer son blason en adaptant sur Broadway un texte exigent de Raymond Carver. Le peu d'argent qu'il lui reste est investi dans cette pièce sensée redonner un sens à sa vie. Mais lui-même n'y croit pas vraiment. Ce projet suscite autant d'espoir que de colère de sa part et son sentiment d'impuissance se traduit par l'illusion de super-pouvoirs. Tel Johnny Weissmuller avec tarzan, Rigger Tompson en est venu à se prendre pour Birdman.

L'audace du film est de nous montrer que sa quête est une utopie. Il a beau s'investir corps et âme dans ce projet, sa démarche n'en reste pas moins pathétique. La critique du New-York Times condamne sa pièce d'avance, par principe, à cause de ce que Riggan Tompson représente à ses yeux: cette culture de masse dont il est à la fois le symbole...et la victime. 

Innaritu s'applique à filmer les conflits intérieurs que ceux qui vivent dans le regard des autres. Leur détresse psychologique en devient ironique, toujours à mi chemin entre le vrai et le faux, tiraillés qu'ils sont entre leur besoin de plaire et  cette volonté d'être unique, rebelle, voire méprisant. À ce chapitre, le personnage d'Edward Norton (dont on dit qu'il est plus vrai sur scène que dans la réalité) est particulièrement évocateur. Avec sa caméra rapprochée, Inarritu croque leur vulnérabilité dans ce qu'elle a de plus intime.  

Son discours sur la culture de masse est impitoyable. La valeur d'un acteur ne se mesure pas à son talent mais au nombre de clic sur Twitter. Tompson réalisera son rêve en faisant un fou de lui. C'est son humiliation publique qui lui apporte la gloire, relayée sur les médias sociaux comme un fait divers, le buzz du moment. Le propos serait simpliste s'il n'était pas doublé d'une question sous-jacente:  cette folie n'est-telle pas aussi l'essence de l'art véritable ? Un artiste doit se dépasser lui-même, danser au bord du gouffre, s'il veut transcender le déjà-vu, le déjà fait, la monotonie de l'art pour l'art. En ce sens, le réalisateur donne raison à son personnage.

Si la névrose est le thème central du film, Inarritu refuse de prendre position sur le sujet, multipliant les fins alternatives pour mieux nuancer l'hypothèse de la scène précédente. Il en résulte une finale plus didactique que surprenante. On réalise alors que si l'émotion des acteurs est à fleur-de-peau, le spectateur en revanche gardera de ce spectacle une impression assez tiède. On en sort ni indigné par la condition humaine qui  transpirait d'Amores perros, ni par l'effet papillon qui baignait l'atmosphère de Babel.  Il n'en reste pas moins que Birman est un bel exercice de style, audacieux dans le discours, mais frileux dans sa manière de conclure. 

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dimanche 4 janvier 2015

Whiplash

Au départ, Whiplash n’avait rien pour me plaire : le jazz, la torture psychologique, une toune qu’on répète encore en encore…j’avais autant envie de voir ce film que de me coincer le doigt dans une porte. Et puis, un ami m’a convaincu de lui donner sa chance. Dès les premières minutes, j’ai compris que le duel d’acteurs serait exceptionnel. Au final, j’ai été bouleversé. Plus qu’un film, c’est une expérience.  Je suis sorti de la salle avec l’impression d’avoir compris l’âme du jazz et peut-être celle de l’art en général. N’importe quel artiste trouvera dans Whiplash matière à réflexions.
  
L’idée de base est toute simple : un professeur de musique tyrannique pousse un joueur de batterie à se dépasser lui-même au risque de le mener au bord de la folie. Point.  Ce n’est que ça et pourtant, croyez-moi, toutes les qualités d’une grande œuvre y sont réunies. La relation qui s’installe entre le professeur et son élève n’est rien d’autre qu’une métaphore des défis qu’impose la vie à chacun de nous. Le mentor alterne sans cesse la séduction et la colère, le charme et la déception, la compassion et le mépris pour arriver à ses fins.  Il pousse son élève aussi loin que possible sans se soucier de l’éthique, des normes ou des conventions,  tous  deux engagés dans une quête absolue et effrénée de perfection. 

J.K. Simmons mérite à coup sûr une nomination pour sa performance, lui qu’on connait surtout pour ses rôles comiques prouvent ici qu’il est un acteur complet et surtout charismatique. Malgré toutes les bassesses auxquelles il se livre, on n’arrive jamais à le détester complètement. Il y a toujours dans son regard un dévouement sincère, une lueur d’espoir qui contraste avec ses paroles, ses cris, ses insultes. En toutes circonstances, il agit par amour de la musique. Miles Teller est également très bon dans le rôle de l’élève qui se retranche dans les méandres du désespoir. Si son jeu est moins nuancé que celui du professeur, il porte tout de même le film sur ses épaules.

Il serait mal venu de passer sous silence la mise en scène de Damien Chazelle. Son talent est manifeste, voilà un réalisateur qui s’est donné comme défi de filmer la musique. Rien de moins ! Que ce soit la relation du musicien avec son instrument ou celle du chef avec son orchestre, sa  caméra demeure sensible, à l’affût de la moindre vibration. Son montage se lit comme une partition, cherchant à capter à la fois le tempo et l’effort pour y parvenir. J’ajouterais que d’avoir choisi d’écrire un scénario épuré, sans artifice narratif, tendu vers un seul but, prouve à quel point Chazelle maîtrise son sujet.


Voilà un film  qui essaye de saisir quelque chose d’universelle, une définition de l’art que seule l’union du son et de l’image pouvait rendre aussi bien. On n’en sort la tête pleine de rythmes mais aussi gavé d’une réflexion qui dépasse de loin le cadre de la musique.  

jeudi 1 janvier 2015

Wild

Raconter un voyage initiatique n’est pas chose facile. Ne transmet pas la sagesse qui veut. Tout réside dans la transformation intérieure du personnage. Sa prise de conscience se doit d’être à la fois troublante et significative, sans quoi l’histoire nous paraîtra banale et moralisatrice. Jean-Marc Vallée évite ce piège en contournant le problème. Ce n’est pas la transformation intérieure du personnage qui nous intéresse ici mais les raisons qui l’ont poussé à entreprendre ce voyage. Il en résulte un film beau visuellement, bien mené mais trop simple et trop convenu pour être vraiment touchant.

Il serait difficile faire un résumé sans révéler des éléments cruciaux. Disons simplement que c’est l’histoire vécue de Cheryl Strayed, une jeune femme qui entreprend de parcourir 1600 km à pied sur la Pacific coast trail afin de reconstruire son estime de soi et trouver un sens à sa vie. De fréquents flashbacks nous font découvrir ce que fut son existence jusque là. En chemin, elle croise toute une galerie de personnages tantôt inquiétants tantôt révélateurs de son propre cheminement.

Reese Wintherspoon vient de tourner coup sur coup deux films réalisés par des québécois. On peut comprendre ce qui l’a intéressé dans ce projet. Le précédent film de Jean-Marc Vallée a permis à Matthew McConaughey de remporter un oscar l’année dernière et peut-être voyait-elle dans ce scénario épuré l’occasion d’être nominée elle-même. Il va sans dire qu’elle porte le film sur ses épaules et sans maquillage, l’aventure s’annonçait pour le moins audacieuse. Malheureusement la découverte progressive du passé douloureux de son personnage n’est pas assez originale pour nous déstabiliser.  On devine assez facilement la suite des événements. Quant au périple en tant que tel, il lui manque ce revirement inattendu qui donnerait une signification à l’ensemble.   Les obstacles sont pourtant nombreux sur le parcours de Cheryl Strayed mais ils sont traités comme des anecdotes, sur un même pied d’égalité.  

Tout cela m’amène à parler du traitement, donc de la mise en scène de Jean-Marc Vallée. En parsemant son récit de flashbacks, le réalisateur déplace le sujet de son film. Le personnage de la mère prend une telle importance qu’on regrette presque qu’elle soit reléguée au second plan.  Dans le rôle, Laura Dern livre une performance remarquable. D’ailleurs, c’est la mère et non la fille qui vit une transformation intérieure et du coup, on se demande qu’est-ce que Cheryl cherche à comprendre qu’elle ne sait pas déjà car, chronologiquement,  l’histoire de sa mère se déroule plusieurs années auparavant. Vous me direz qu’il ne suffit pas de savoir quelque chose, encore faut-il l’intérioriser. C’est vrai, mais cet aspect du problème n’est pas vraiment développé dans le film, bien qu’il en soit la conclusion. Les créateurs ont dû croire qu’en dévoilant progressivement le passé du personnage, sa quête prendrait un sens aux yeux du spectateur.  Cette approche fonctionne à moitié dans la mesure où il n’y pas de lien véritable entre le passé et le présent, sinon que Cheryl s’impose toutes ces souffrances pour expier ses péchés d’autrefois. Jean-Marc Vallée aurait eu avantage à recourir à une rupture de ton pour donner à l’une des étapes du voyage une conation particulière, transcendante si je puis dire.

Au final, Wild vaut surtout pour la beauté des paysages, l’habile résurgence des souvenirs durant le parcours, le jeu de Laura Dern et dans une moindre mesure celui de Reese Wintherspoon. En sommes, Wild est un beau film à défaut d’être un bon film.

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