mercredi 28 janvier 2015

Wall Street vs Le secret de mon succès

Sortis à quelques mois d'intervalles en 1987, Wall Street d'Oliver Stone et Le secret de mon succès d'Herbert Ross ont plusieurs points en commun. Tous deux racontent l'ascension d'un jeune ambitieux dans le monde des affaires, les personnages principaux vont mentir à leurs patrons pour arriver à leur fins et tous deux vont y parvenir en mettant au point une OPA, c'est-à-dire un rachat hostile d'une compagnie par une autre. Dans le milieu financier, il n'y a pas d'opération plus sauvage qu'une OPA. Le film d'Oliver Stone, qui s'adresse aux adultes, se conclu sur une dénonciation du rêve américain. Bud Fox (Charlie Sheen) termine en prison. Au contraire, dans Le secret de mon succès, qui s'adresse aux adolescents, le héros remporte une victoire totale. Grâce à cette OPA,  Brantley Foster (Micheal J. Fox) réalise son rêve de devenir riche et puissant.

Vous me voyez venir. Même si Le secret de mon succès est traité sur le mode de la comédie, il encourage néanmoins les jeunes à admirer les requins de la finance. De même, Gordon Gekko (Micheal Douglas) est un personnage fascinant et mille fois plus intéressant que Bud Fox, le moraliste du film. Dans un cas comme dans l'autre, on en sort avec l'envie de devenir riche.  La véritable morale qui en émerge, peu importe la conclusion, c'est que les principes moraux sont un frein à la réussite financière. 

Bien sûr, ce n'était pas l'intention des créateurs. L'un voulait dénoncer le capitalisme sauvage et l'autre cherchait seulement à nous divertir. Le premier a raté sa cible en créant un antagoniste trop charismatique (le suave Gordon Gekko) et le second est allé trop loin en permettant au héros d'obtenir le beurre, l'argent du beurre et le cul de crémière (un happy end complet). Mentionnons à leur décharge que les "Eighties" vivaient une lune de miel avec le monde de la finance. La révolution des années 60-70 était terminée. Les baby-boomers avaient passé l'âge des idéaux farfelus, ils rêvaient maintenant de stabilité et de croissance économique.


STRUCTURE NARRATIVE

Voyons les similitudes. Outre leurs initiales, B.F des deux personnages, tant Bud Fox que Brantley Foster arrivent de la banlieue, tous deux issus d'une famille modeste, le père du premier est mécanicien, l'autre fermier. Les parents n'approuvent pas leur ambition démesurée, mais les laissent poursuivre leurs rêves. Arrivés à New-York, ils vivent dans un logement minable et passent leur temps libre à éplucher des bilans comptables.  L'un rêve de travailler avec Gordon Gekko, le plus gros financier de Wall Street, l'autre de devenir cadre supérieur dans la multinationale dirigée par son oncle. Pour y parvenir, Bud devra commettre plusieurs délits d'initiés et Blantley usurper l'identité d'un cadre qui vient d'être congédié. Leur "audace" s'avère payante. Bud commence à faire beaucoup d'argent tandis que Brantley met au point un plan de restructuration susceptible de sauver la compagnie. Autre similitude non négligeable, tous deux tombent amoureux d'une fille out of their ligue qui s'avèrent être les maîtresses de leurs patrons respectifs. L'essentiel de l'intrigue dans les deux cas consiste à devenir riche sans se faire prendre. Finalement, Bud et Brantley réaliseront que leurs patrons sont des escrocs et se vengeront en montant une OPA.

Les points de divergences concernent essentiellement le genre cinématographique auquel chaque film appartient. Wall Street est un drame réaliste construit comme un suspense. Le secret de mon succès est comédie romantique basée sur des quiproquos amoureux. Chemin faisant, Bud Fox traverse une crise existentielle qui le force à se remettre en question alors que Brantley Foster, pas du tout. Bien entendu, la distinction la plus notable réside dans la conclusion. L'un perd et l'autre gagne. C'est loin d'être anodin quand il s'agit de magouille financière. On peut s'étonner que des studios différents (20th Century Fox & Universal) aient produits, en même temps, 2 films qui s'adressent à des publics différents, mais dont les personnages principaux partagent la même quête, feront face aux mêmes obstacles et emploieront le même stratagème pour gagner. Il faut croire que c'était dans l'air du temps.

ÊTRE OU NE PAS ÊTRE...SUBVERSIF.

Voyons un peu le contexte. Les deux films sortent pendant la glorieuse époque de Ronald Reagan et de son conservatisme triomphant. L'économie est  au coeur de toutes les préoccupations. À la télévision, c'est le règne des gens riches et célèbres,  Dallas et  Dynastie en têtes. Chaque semaine,  des millions de spectateurs veulent savoir quelle escroquerie J.R. Ewin a encore concocté pour duper ses adversaires. Autrement dit, au milieu des années 80, dans la culture populaire, s'enrichir sur le dos des autres est une chose admirable, à tout le moins divertissante.  Quand Gordon Gekko proclame "Greed in good", le spectateur sourit. On admire ces gens-là. "Si seulement j'avais moins de principes", se dit le téléspectateur en regardant son feuilleton préféré. 

Wall Street d'Oliver Stone se veut une critique acerbe du milieu financier et de la société en général. Le secret de mon secret, en revanche, cherche seulement à divertir et amuser le public. L'un est un film d'auteur porté par un réalisateur contestataire. L'autre est une commande fabriquée sur mesure pour sa vedette principale Michael J. Fox, tout juste auréolé par le succès de Back to the future. Notons qu'il retrouvait avec le personnage de Brantley Foster un rôle similaire à celui qui tenait dans Family ties, la série télévisée qui l'a fait connaître. Les producteurs recyclaient donc une formule gagnante qui collait bien à l'acteur. Oliver Stone aussi surfait sur une vague mais d'une manière différente. Son portait vitriolé du monde de la finance donnait l'impression qu'il allait à contre-courant, qu'il s'en prenait à l'establishment. Son film semblait subversif alors qu'en réalité, il est tout pétrie de moralité. Le contraire du Secret de mon succès, inoffensif  à première vue mais tordu dans sa morale sous-jacente. En fournissant au héros toutes les justifications nécessaires pour lui permettre de triompher, le film livre un message des plus clairs: la fin justifie les moyens...

Dans Wall Street, tous les personnages sont corrompus par leur propre ambition, le fameux Rêve américain, à l'exception du père de Bud qui se contente de ce qu'il a dans la vie. Paradoxalement, ce même Rêve américain anoblit Brantley Foster qui, par ambition, va usurper l'identité d'un cadre supérieur et confondre le C.A. de la compagnie. L'opportunisme du personnage est justifié par un cafouillage bureaucratique qui rend possible son entourloupe. Jamais Brantley n'aura à souffrir moralement pour son ambition. Au contraire, elle est présentée comme un exemple de courage et de détermination.

Bien entendu, pour fin de comparaison, j'ai mis les deux films sur un pied d'égalité alors qu'en réalité, Wall Street est devenu un classique du cinéma alors que Le secret de mon succès a sombré dans l'oubli. Étrangement, ce dernier avait fait beaucoup mieux au Box-office en 1987: 110 million de recettes contre 80 pour Wall Street, bien que cela ne tienne pas compte de la longévité en vidéo du film d'Oliver Stone. Ça montre quand même que  l'idéologie derrière Le Secret de mon succès plaisait au public de l'époque constitué en grande partie d'adolescents. On se régalait de voir un jeune ambitieux prêt à tout pour devenir un requin de la finance.

C'est facile de juger avec 30 ans de recul. Il est intéressant de mettre en parallèle ces deux films avec la suite de Wall Street Money never sleep , sorti en 2010. Dans cet opus, Gordon Gekko ne cesse de répéter que le monde de la finance est pire qu'avant, mais lui-même apparaît bien édenté comparé à ses frasques originales. Il commettra une petite escroquerie à la fin du film et s'en excusera aussitôt, tout le contraire de son tempérament d'autrefois. Les bad guys d'aujourd'hui qui pullulent dans les séries télévisées telles que Beaking Bad, House of cards, Sons of Anarchy et cie ont tous mauvaise conscience. C'est la condition sine qua non pour vivre dans le péché.

À l'heure où les super-héros font la pluie et le beau temps au cinéma, le conservatisme moderne se dissimule sous un masque de justice sociale. La loi du "chacun pour soi" est toujours en vigueur mais préfère se garder une petite gène. Il y a fort à parier que si on faisait un remake du Secret de mon succès aujourd'hui, Branltey Foster retournerait vivre dans l'Arkansas avec son amoureuse, à nourrir ses poules, tandis que son bras droit à New-York veillerait au bon fonctionnement de l'entreprise. De nos jours, le nec plus ultra, c'est d'être au sommet sans en avoir l'air.


<script type="text/javascript"
src="http://www.ToutLeMondeEnBlogue.com/tag.aspx?id=0">
</script>

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire