mercredi 4 février 2015

Drôle de monde



Il y a longtemps que je pensais écrire un article sur ce film atypique et déformé par ses propres ambitions. Il  m'a fallu une nuit d'insomnie pour que je le redécouvre, présenté en fin de soirée à la télévision, à une heure où les spectateurs se foutent éperdument de ce qu'ils regardent du moment que l'écran projette des images et du son.

Drôle de monde est un ovni dans le parcours de Judd Apatow. Vendu comme une comédie, il s'agit d'un drame en réalité mais ce n'est pas ce qui nous intéresse ici.  La particularité de Funny People, c'est de détourner un sujet, puis un deuxième, pour finalement traiter d'un troisième cette fois en mode beaucoup plus personnel.

Apatow a toujours eu le don pour trouver des concepts accrocheurs. Cette histoire d'un humoriste qui perd le sens de l'humour en apprenant qu'il est atteint d'un cancer et décide d'engager un débutant pour lui écrire des gags, ne manquait pas d'intérêt. Le croisement de ces deux thématiques nous fait découvrir l'univers du stand-up comique, un milieu compétitif où la recherche perpétuelle de gags originaux forcent les artistes inexpérimentés à s'humilier sur scène. Pas facile de faire rire un public désabusé et souvent, le seul moyen d'y parvenir, c'est de faire rire de soi.  Habitué à être humilié de la sorte, le jeune Ira Wright trouve un certain réconfort dans la soumission à laquelle son mentor le contraint. Georges Simmons n'a aucune pudeur a traiter son employé comme un esclave puisqu'il est lui-même, d'abord et avant tout, un enfant gâté et immature, deux défauts qui sont aussi les ingrédients de son succès.
  
Le réalisateur nous montre dans quel état d'esprit un humoriste doit se trouver pour pondre ses gags, toujours à la frontière de l'infantilisme et de la vulgarité, à jouer sur des cordes sensibles qu'il tourne ensuite en dérision, cultivant ainsi une manière de réfléchir qui l'empêche de s'émanciper. La différence entre Georges Simmons et Ira Wright, c'est que le premier est à l'aise dans cette zone grise peu enviable alors que le deuxième cherche encore ses repères. Sans dire que Funny People élabore une profonde réflexion sur le sujet, c'est du moins le thème central de l'oeuvre et les spectateurs qui ne l'ont pas compris vont détester la dernière partie du film. 

Parce que cette mentalité infantile et perverse n'a pas fait qu'apporter la gloire à Georges Simmons, elle lui a aussi empoisonné l'existence.  C'est ainsi que Laura, son grand amour de sa vie, l'a quitté. En apprenant qu'il a le cancer toutefois, celle-ci se rapproche et se laisse à nouveau séduire, bien qu'elle soit remariée et mère de deux enfants. Pour Georges, c'est l'occasion de réparer la pire gaffe de sa vie. À ce stade, le film semble se dirige tout droit vers un happy end. Le cancer de Georges lui a permis de comprendre le sens de la vie, sa courbe psychologique est bien amenée. Apatow aurait pu poursuivre sur cette lancée, profiter de la sympathie que nous avons pour le personnage de Georges, mais non, il se débarrasse du moteur de son intrigue: Georges apprend que son cancer a disparu, que sa rémission est complète. Le problème, c'est que Laura risque de partir s'il n'est plus malade, alors il joue un double-jeu, plongeant le film dans le quiproquos, une situation ambiguë que le personnage d'Ira souligne aux gros traits, mal-à-l'aise de mentir lui aussi à Laura.

Et c'est à ce moment que Judd Apatow aborde le troisième thème du film, le plus personnel et le moins hollywoodien qui soit: l'incapacité de Georges à s'émanciper. Malgré toutes les chances que lui donne Laura, il n'arrive pas à se montrer à la hauteur, particulièrement avec les enfants de cette dernière, étant lui-même trop immature pour les supporter. Il fallait avoir de l'audace pour détourner ainsi le film de son happy-end romantique. Si tel avait été le cas, nous n'aurions pas compris où l'auteur voulait en venir. Son film n'est pas une comédie légère mais un drame sur la légèreté, cette mentalité frivole qui fait tout le charme de l'humoriste. Georges n'est pas idiot, il sait ce qu'il doit faire pour reconquérir Laura, mais il n'y arrive pas. Ses vieux réflexes sont plus forts que lui. Il se met constamment le pied dans la bouche et ce qui ressemblent à des blagues pour le spectateur est en réalité un triste constat de la condition humaine:  le naturel revient toujours au galop. Georges Simmons est incapable de prendre soin d'une famille parce qu'il est trop centré sur lui-même. 

L'histoire va plutôt se conclure sur les retrouvailles de Georges et Ira après leur dispute, le débutant ayant compris que son mentor ferait un bien mauvais père pour les enfants, il avait prévenu Laura, provoquant malgré lui une bataille entre Georges et le père des enfants. Cette conclusion en demi-teinte n'a rien de bien comique et du coup, nous apparaît presque pathétique. Or, après analyse, on comprend que c'est le vrai thème du film. 

En montrant le revers de la comédie de cette manière, en décortiquant ce qui compose le sens de l'humour, le réalisateur exorcisait ses propres démons. Lui-même père de deux enfants (les filles de Laura dans le film), Apatow doit en connaître un chapitre sur les difficultés de conjuguer humour juvénile et responsabilités parentales. Avec ce film-ci et le suivant This is 40 (2012), on sent que l'auteur cherche à faire des films plus personnels mais, ce que ses oeuvres gagnent en maturité, son humour le perd en fraîcheur. C'est le drame de la comédie.  


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire