samedi 21 février 2015

Deux jours, une nuit

On dit souvent que les idées les plus simples sont les meilleures. C'est aussi vrai pour une histoire. En ce qui concerne le dernier Dardenne, on peut même parler de pureté ! L'enjeu est si terre-à-terre que la question nous est renvoyée comme un boomerang. Qu'est-ce que j'aurais fait, moi ? Pour sûr, le film ne manque pas d'ambition.  On y parle de capitalisme, de mondialisation et de chômage mais cette fois, ce n'est pas les industriels mafieux qu'on pointe du doigt, c'est nous, le monde ordinaire, de simples salariés confrontés à un dilemme moral presque banal: choisir entre une prime ou le maintien en poste d'une collègue. Autrement dit, accepteriez de perdre 1000 euros (1425.00$ can) pour sauver l'emploi de quelqu'un d'autre ?  C'est la question que pose  2 jours 1 nuit

L'histoire est d'un réalisme saisissant: Une femme qui travaille sur une chaîne de montage, en congé de maladie depuis 4 mois, apprend que la compagnie a offert aux employés de couper son poste en échange d'une prime. Elle dispose d'un week-end pour les faire changer d'avis. Elle va donc frapper de porte en porte afin de plaider sa cause.  

La justesse des sentiments est une chose assez rare au cinéma. En général, ils sont trop habillés (les clichés) ou pas assez (les scènes déchirantes). Dans un cas comme dans l'autre, la magie s'envole, conscient que nous sommes d'assister à un spectacle, une performance. Le juste milieu est difficile à atteindre, surtout quand il s'agit d'émotions lourdes. Moi le premier, je ne vais pas au cinéma pour m'arracher le coeur. Non merci.  Un film se doit de me transporter, de me soulever de terre un minimum. Je suis comme ça. Superficiel, diront certains. Spectateur moyen, me sied mieux. Tout cela pour dire que 2 jours 1 nuit touche une une corde sensible sans nous casser le violon sur la tête. J'oserais même dire qu'on est rivé à notre siège jusqu'à la fin dans l'espoir de trouver une réponse satisfaisante pour nous-même.

Dès le départ, la quête de Sandra est claire: convaincre au moins 9 employés sur 16 de voter pour son maintien en poste. Pas le temps de (trop) s'apitoyer, il faut s'activer, arpenter  la ville, frapper aux portes et argumenter. C'est une course contre la montre. La contemplation méditative n'y a pas sa place. Comble du malheur, le contremaître de la compagnie  fait du lobbying téléphonique pour convaincre son équipe de choisir la prime. Invisible jusqu'à toute fin, il n'en reste pas un antagoniste omniprésent et inquiétant. Le film ne s'enlise jamais dans les scènes interminables, au contraire, le rythme est soutenu, voire même primordial. 

C'est peut-être ce qui rend les émotions du films si vraies, si prenantes. Le dilemme auquel sont confrontés les employés est à la fois rationnel et émotif. On ne parle pas d'un million, mais de 1000 dollars et pour nombre d'entre eux, c'est une somme non-négligeable. Ni Sandra, ni les collègues n'ont envie de s'expliquer en long et en large, on comprend vite que la honte et la compassion s'entremêlent dans cette affaire. Entre ceux qui acceptent de bon coeur et ceux qui refusent catégoriquement, il y a toute une palette de oui, nonpeut-être, je sais pas, autant de réponses auxquels on ne peut pas rester indifférent.  Le fait que le montant d'argent soit modeste rend encore leur réaction plus crédible parce que l'orgueil et la dignité pèsent dans la balance. On est loin de Robert Redford offrant 1 million de dollars à Demi Moore pour tromper son mari. Personne n'est confronté à un dilemme de ce genre. Mais seriez-vous prêt à trahir un collègue de travail pour une prime de 1000 $? Non seulement la question se pose, c'est un peu ce qui se produit chaque fois qu'une compagnie parle de restructuration.

Loin de dépeindre Sandra comme une simple victime d'injustice, les auteurs abordent la question sous un angle particulièrement délicat: le burn-out.  Même si elle affirme être guérie, on sent bien que ce n'est pas le cas. Elle gobe des Xanax comme des bonbons et son mari doit la ramasser à la petite cuillère à plusieurs reprises. Sans traiter le sujet de front, le film s'interroge sur l'impact de la maladie. Sur le plan individuel d'une part, Sandra a une côte à remonter. Marion Cotillard livre une performance extraordinaire dans le rôle d'une femme qui s'accroche et continue d'avancer malgré les écueils, soutenue par son mari qui agit lui-même en désespoir de cause. D'autre part, la dépression de Sandra touche également ses collègues. Ce n'est pas une employée qu'on vire sèchement à la fin de son quart de travail, mais une personne absente depuis des mois. L'équipe a appris à se passer d'elle, la chaîne de montage fonctionne quand même. Pour l'employeur, ça se résume à un simple calcul: soit on paye un salaire de plus, soit on le divise en bonus pour les autres.   Certes, la proposition est insidieuse, mais la question n'est pas là et c'est justement ce que rend la chose intéressante. Oui, l'employeur manipule mais la décision finale appartient aux employés. Le film ne se contente pas de plaider pour une morale gauchiste, il nous demande de choisir notre camp. Au cinéma, c'est déjà un exploit.

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