dimanche 8 février 2015

Félix & Meira



Le cinéma québécois ne regorge pas d'histoires d'amour, peut-être parce que la littérature en est pleine et que nos voisins du sud inondent nos écrans d'étincelles magiques, de ruptures tonitruantes et de réconciliations improbables.  La recette est connue et ceux qui s'en éloignent présentent trop souvent le revers de la médaille: colère, déchirement, indifférence, des émotions que nous ne voulons pas nécessairement vivre ou revivre.  Maxime Giroux a médité la question.  Il nous propose avec Félix & Meira, une approche douce et profonde où le non-dit tient une place importante. Ce n'est pas tant une histoire d'amour qu'une réflexion sur le sentiment amoureux.

Il aurait été absurde d'imaginer une coup de foutre entre un québécois francophone célibataire et une juive hassidique mariée et mère d'un bébé. L'astuce de Giroux consiste à nous faire comprendre que ces deux-là se croisent dans la rue depuis longtemps. La jeune femme, bien sûr, n'a pas le droit de regarder un étranger ni de lui adresser la parole mais Félix, lui, ne s'en prive pas. Il la trouve jolie cette fille timide qui promène son landau, la tête basse, en jetant des coups d'oeil furtifs au monde qui l'entoure. C'est par l'intermédiaire de dessins qu'ils communiquent. Elle dessine pour sa fille, il dessine pour lui-même. On devine que Félix l'a complimenté un jour sur ses dessins et que, peu à peu, il s'est mis à lui parler sans attendre de réponse. C'est un solitaire entre deux âges, meurtri par son passé.  Cette femme incarne à ses yeux l'attention d'une mère pour son enfant, l'inaccessible étoile. De son coté, Meira le laisse causer, à la fois choquée et charmée par l'audace de cet homme. Malgré les apparences, ils ne sont plus des étrangers. Il suffira d'une occasion pour que l'ouverture se fasse. 

C'est dans cette ouverture que réside le véritable enjeu du film.  Chacun voit dans l'autre ce qui lui manque. Leur mouvance intérieure concerne moins la personne en face d'eux que la possibilité de combler un vide. L'amour naît du plaisir de désamorcer les mécanismes de défense. Félix n'a rien à perdre, mais on sent que cette façon d'aimer est nouvelle pour lui. Meira a tout à perdre, mais la patience dont fait preuve Félix, son désir inconditionnel, l'enivre. Maxime Giroux filme leur rapprochement avec tact et subtilité. Les séquences nocturnes qui se déroulent à New-York entre autres sont sublimes, les cadrages, la photographie, la musique, tout contribue à redéfinir l'expression "À fleur de peau". Chacun tombe amoureux des intentions de l'autre. Le film décrit - avec un minimum de mots - les premiers balbutiements du sentiment amoureux, cette manière de toucher les cordes sensibles d'une personne avant de la connaître. C'est leur ego qui a besoin d'amour en premier lieu.  

La notion du rêve joue donc un rôle prépondérant dans cette relation. Ils s'imaginent à Venise, ville romantique par excellence. C'est un peu leur Eldorado, leur conception d'une histoire d'amour, sachant que ce flirt est voué à l'échec. Partir à Venise, c'est franchir le pas qui rendrait la chose possible, cette escale entre le rêve et la réalité. Ce n'est qu'un projet, bien entendu, mais petit à petit le monde imaginaire qu'ils s'invente prend de l'ampleur. Ils nourrissent l'espoir, envisage un avenir, se donnent la permission d'y croire. La courbe psychologique que dessine Giroux est celle du désir qui mène au besoin. 

Le réalisateur n'instrumentalise pas les différences culturelles, il s'en sert plutôt comme toile de fond, accordant toute son attention aux personnages principaux qui essayent justement de combler le fossé qui les sépare. La réaction du mari de Meira n'est ni bonne ni mauvaise, c'est celle d'un homme désemparé bien davantage que celle d'un croyant. Loin de vouloir de porter des jugements, Félix & Meira posent des questions sans apporter de réponses précises. Giroux évite toutes allusions au racisme.  Là n'est pas son propos. 

Si le film mettait en scène deux québécois pure laine, l'un célibataire et l'autre mariée et mère d'un bébé, le coeur du récit serait probablement le même. Il ne s'agit pas ici de comparer les cultures ou de les mettre en opposition. De la communauté hassidique, Giroux ne montre que l'esprit de clan et l'importance des traditions. Ce que Meira cherche à fuir avant tout, c'est la routine et la monotonie d'une vie tracée d'avance, une réalité qui pourrait bien être celle d'une féministe athée pour peu qu'elle soit prisonnière de ses engagements. Ce qui intéresse le réalisateur, c'est la difficulté pour les personnages de nommer les choses, de s'apprivoiser l'autre sans connaître le mode d'emploi. En d'autres mots,  développer la sensibilité qu'exige un tel rapprochement. 

Martin Dubreuil prouve encore une fois que c'est l'un des acteurs les plus talentueux de sa génération. Sous ses traits endurcis, il exprime une vulnérabilité à laquelle on ne reste pas indifférent. Quant à Hadas Yaron, sa beauté naturelle et son jeu subtil nous fait ressentir l'ambivalence de Meira à chaque instant. La chimie entre les deux est palpable, condition essentielle pour nous faire croire à cette histoire d'amour improbable.  

À une époque où les difficulté d'intégration font la manchette, l'auteur nous propose une réflexion toute en nuances, à échelle humaine, sans se voiler la face ni se draper de vertus. Félix et Meira est  un film actuel, sincère et touchant, une oeuvre incontournable dans le paysage cinématographique québécois.

****1/2


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