lundi 10 novembre 2014

Interstellar



Arrive parfois, pas très souvent, un ovni dans le paysage cinématographique, une œuvre qui repousse les limites du septième art par son ampleur, sa force et son pouvoir d’évocation. Interstellar est de ceux-là. J’oserais même dire qu’il est assis à la droite de 2001 : Odyssée de l’espace.

Le film s’ouvre sur une fin du monde tout en douceur, baignée d’images propres au western. La lente agonie mondiale que nous propose Christopher Nolan n’a rien à voir avec Mad Max ou 1984, ici pas de fous furieux armés jusqu’aux dents ni de dictature, seulement un nivellement par le bas, une dévolution tranquille. Cooper est un ancien pilote devenu agriculteur par la force des choses, il cultive le maïs comme tout le monde pour survivre. Les tempêtes de sable sont une menace constate et la poussière s’infiltre partout, rappelant par moment le graphisme de Sergio Leone. Six milliards d’êtres humains sont déjà morts de faim et pourtant,  ceux qui restent tentent de mener une vie normale. Les gens travaillent, boivent de la bière et jouent au baseball. La famine qui sévit a des répercussions plus insidieuses. On révise l’Histoire en fonction des besoins. L’astronomie par exemple n’est plus enseigner à l’école. C’est des cultivateurs qu'on cherche, pas des astronautes. Cooper essaye de transmettre sa curiosité intellectuelle à ses enfants, non par esprit de rébellion  mais seulement par amour. Quand sa fille de se met à croire aux fantômes, il l’incite à trouver une explication scientifique aux phénomènes étranges, même lorsque ceux-ci les conduisent à une base secrète de la Nasa.
Chaque réponse soulève un doute raisonnable chez Nolan. Le déchirement d’un père qui doit quitter ses enfants pour entreprendre un voyage spatial l’amène à se poser une question fondamentale : est-ce qu’une cause noble vaut la peine de sacrifier ce qu’on a de plus précieux ? Encore là, l’auteur n’y répond pas. Il se contente d’explorer tous les paramètres du problème. Les discussions sur le pouvoir de l’amour côtoient la physique quantique à bord du vaisseau. Dans leur quête pour trouver une planète habitable, les astronautes sont confrontés à la notion d’espace-temps, au fait que le monde ne sera plus le même à leur retour.
Ce n’est pas la transposition visuelle de théories complexes qui fera d’Interstellaire un classique, mais sa capacité à les ramener à une dimension humaine. Là où Contact  de Robert Zemeckis échouait, Interstellar réussi. Jamais les explications scientifiques ne se mordent la queue, elles trouvent toujours une résonnance dans le concret, ne serait-ce pour souligner le fait que nos choix sont tributaires de notre conception du monde et que cette perception est malléable, pluridimensionnelle.  
Tous les thèmes chers au réalisateur sont présents : la mémoire, le rapport à la réalité, la distorsion de nos perceptions et bien sûr l’avilissement qui nous guette. Non seulement il a su construire une histoire divertissante autour de ses préoccupations, il y ajoute en plus un ingrédient qui faisait défaut à ses oeuvre précédentes : l’émotion. La dernière partie du film est exemplaire à ce niveau, puisque les théories astronomiques, inspirés du physicien de Kip Thorne, sur la relativité générale sont mises en perspectives avec les choix déchirants que doivent faire les membres d'une famille. Le montage parallèle sert alors d’encrage pour illustrer la notion d’espace-temps magistralement mise en images. Personnellement, j’en avais des frissons.   
Il ne fait aucun doute qu’Interstellaire est le film de la maturité pour Nolan, une œuvre-phare qui comme 2001 pour Kubrick risque de marquer un tournant dans sa carrière. Ce n’est plus juste un bon réalisateur, il entre désormais dans la catégorie des visionnaires de qui on attend à chaque fois une révélation.    

samedi 1 novembre 2014

Joe contre le volcan


Sorti en 1990, le film est un échec. Il marque un tournant dans la carrière de Tom Hanks. De même, le scénariste  John Patrick Shanley, qui réalisait là son premier film, ne reviendra derrière la caméra que  18 ans plus tard avec Le doute.

L’histoire raconte le parcours de Joe Banks, un employé de bureau mal fichu, de son propre aveu.  Un jour, son médecin lui diagnostique un nuage cérébral, une maladie extrêmement rare, asymptomatique  et mortelle. Le lendemain, comme par hasard, un riche industriel lui fait une proposition : sauter dans un volcan pour amadouer une tribu lointaine qui, en échange d’un sacrifice, acceptera qu’on exploite un minerai qui se trouve uniquement sur cette île. En contrepartie, Joe pourra mener la grande vie jusqu’à la fin du voyage.

Joe contre le volcan a dérouté bien des spectateurs avec ses changements de ton progressifs, son humour décalé et sa morale ambiguë. Il n’en reste pas moins un film d’auteur, ambitieux sur le plan narratif et audacieux dans sa facture. Après avoir gagné l’oscar du meilleur scénario pour Éclair de lune (1988), John Patrick Shanley a certainement voulu faire un film qui reflétait ses préoccupations, refusant de diluer son propos au profit de la comédie. Visuellement, Joe contre le volcan se veut un hommage aux vieux des années 30 avec ses décors en carton pâte et ses effets spéciaux fantaisistes.

S’il est vrai qu’un spectateur juge un film à ses dix premières minutes, on comprendre l’étonnement. Le film ouvre sur une foule lancinante d’employés qui entrent à l’usine tels des zombies. La chanson Sixteen tons  d’Éric Burdon, avec ses sonorités de marteaux et d’enclume, accentue l’effet de découragement. Les décors de l’usine sont ternes, éclairés par des néons vacillant. On y fabrique des testicules artificielles mais aucun gag n’est vraiment élaboré sur le sujet, on est dans la métaphore. Seul Dan Hedaya, en patron tyrannique, joue sur le ton de la comédie. Tom Hanks se traine les pieds, cernés jusqu’aux oreilles, les cheveux trop longs,  rien à voir avec le style bon enfant qu’on lui connaît. Meg Ryan est méconnaissable en DeeDee, la collègue de travail dont il est amoureux. Sa chevelure brune mal coiffée et son positivisme de pacotille la rendent antipathique au premier coup d’œil. Tout cela, bien entendu, est volontaire.  C’est le premier des cinq tableaux qui composent le film. Chacun possède son éclairage particulier, sa propre ambiance. Les couleurs vont s’émanciper au fil du récit et Meg Ryan interprète les trois personnages féminins qui accompagnent Joe Banks à chacune des étapes.
Le réalisateur refuse de nous annoncer la couleur. Il n’y a pas d’apartés, d’arrêts sur image ou de scènes loufoques pour prévenir le spectateur qu’il s’agit bien d’une œuvre fantaisiste. Quelques références aux films The wall ou Brazil sont perceptibles mais rien qui puisse ravir le public-cible de Tom Hanks et Meg Ryan à l'époque. Seul la présence de Robert Stack (le médecin) et Lloyd Bridges (l’industriel), transfuges du film Airplane, nous indique que l’œuvre est à prendre au deuxième degré, qu’il s’agit là d’une comédie volontairement absurde. À l’écran, le ton demeure dramatique, même lorsque Dr. Ellison annonce à Joe qu’il est atteint d’un nuage cérébral. Le talent des deux acteurs, qui jouent le plus sérieusement du monde, empêche les spectateurs de savourer l’ironie. De même, la scène où DeeDee rompt avec Joe en apprenant qu’il est condamné à mort frôle le pathétisme. 
La dépression, l’hypocondrie, la maladie et l’indifférence sont autant de sujets abordés dans cette première partie. Joe Banks n’est qu’un pion, sans personnalité ni motivation. On croit y reconnaître l’Étranger d’Albert Camus. Tout n’est que misère dans cette vie routière. Les touches d’humour proviennent essentiellement du décalage entre le jeu des acteurs par rapport à leurs castings habituels.
C’est l’arrivée de Lloyd Bridges qui plonge sans conteste le film dans la comédie. L’industriel Graynamore semble tout droit sorti d’une bande-dessiné tellement son jeu est outrancier et caricatural.



Le talent comique du vieil acteur culmine lorsqu’il parvient à convaincre Joe Banks que sauter dans un volcan est la meilleure chose qui puisse lui arriver. Sa fougue nous permet d’avaler l’explication selon laquelle une vie ordinaire ne vaut pas la peine d’être vécue, qu’il est préférable d’être riche quelques jours et mourir plutôt que de vivre sans argent. Le rapport au capitalisme est d’ailleurs très ambigu dans le film, nous y reviendrons. 


Le deuxième tableau nous transporte à Manhattan où Joe Banks et venu profiter de ses derniers jours. Nous assistons au premier changement de ton du film. D’une part, la photographie s’adoucie, les images ternes font place aux ambiances neutres et froides de New-York, bien que les extérieurs se fassent encore rares. Ensuite et surtout, Joe procède à un relooking, renouant avec le Tom Hanks aux cheveux courts qu’on connait. Son jeu gagne en vigueur.  La comédie se fait sentir. Ce ne pas Meg Ryan mais Ossie Davis qui lui sert de partenaire dans ce tableau, le chauffeur de limousine lui conseille les endroits plus huppés de la ville. Les difficultés de Joe à assumer son statut de nouveau riche donnent lieu à quelques scènes amusantes.  L’homme sans personnalité se cherche un style, s’achète un costume chic et des vêtements d’explorateurs comme on en voit dans les vieux films. Il tente de se lier d’amitié avec Marshall, son chauffeur,  mais celui-ci préfère rejoindre sa famille.  Ce soir-là, Joe dîne seul. Tous ses achats ne comblent pas son vide existentiel, mais son cheminement est palpable. Il accepte désormais son sort avec bonne humeur.

Troisième étape : Los Angeles, d’où il appareillera pour l’île de Waponi Wu.  Nouveau changement de ton et d'éclairage. Il est accueilli à l’aéroport par Angélica, la fille de Graynamore. En route, ils longent la Pacific Coast Highway, seul décor naturel du film et pourtant, Joe n’en a cure, affirmant que ça fait un peu trop décor de cinéma. Le jeu des faux-semblants atteint son point de rupture. La direction-photo se pare des couleurs vives, presque qu’agressive, tout comme Meg Ryan qui incarne cette fois-ci une artiste frustrée et désabusée. Ses cheveux rouges et son allure hautain évoque le piège des apparences, inhérent à la quête de soi.  Alors que DeeDee et Marshall l’ont rejeté, Angélica aimerait bien passer du temps avec lui. C’est Joe qui refuse, comprenant qu’Angélica n’appartient pas à son monde. S’il dine seul ce soit-là, c’est par choix, signe de son évolution.  






Maintenant qu’il est mûr, Joe monte à bord du Tweedle Dee, le bateau qui le mènera sur l’île de Waponi Wu. C’est Patricia qui supervise l’expédition, la demi-sœur d’Angélica, incarnée par une Meg Ryan  au naturel. La transformation des personnages est complétée, la comédie romantique peut commencer. Les extérieurs, quoique magnifiques, sont tournés en studio. C’est du faux réalisme et on ne s’en cache pas. Le réalisateur se moque du genre, nous en montre les ficelles.  Il refuse qu’on embarque de plein pied dans son histoire, soucieux de poursuivre sa démonstration. Tout comme Joe, Patricia s’est laissé acheter par son père, acceptant de faire ce voyage en échange du bateau. Les rapport humain sont monnayables dans Joe contre le volcan, on tente d’acheter les autres ou on se laisse acheter. Pour évoluer, Patricia doit perdre son bateau. Une tempête se lève au large et un typhon, à peine crédible,  coule le yacht, confinant nos deux personnages sur un radeau formé des 4 valises que Joe s’est acheté à New-York, en référence bien sûr à notre bagage personnel, dont on sous-estime souvent l’importance mais qui s’avère primordial dans l’accomplissement de notre destin. Cette scène évoque également l’abandon de soi puisque Joe refuse de boire le peu d’eau qu’il lui reste pour empêcher Patricia de se déshydrater. Dans une ode à la lune, il remercie Dieu pour sa vie. La lune géante et le décor artificiel enlèvent toute crédibilité à sa litanie.  C’est une parodie des scènes de rédemption et une mise en abime. qui annonce la suite.    

Enfin, nous arrivons au cinquième et dernier tableau : l’île Waponi Wu. Toute ressemble avec la réalité est fortuite. Les décors rappellent ceux de Gilligan Island. Les Waponi sont risibles avec leurs paillettes hawaïennes. Les clins d’œil aux vieux films, dont King Kong, se multiplient et l’histoire ne cherche aucunement à justifier toutes ces incohérences, bien au contraire. Depuis que le peuple Waponi a découvert le soda à l’orange, plus personne ne veut sauter dans le volcan pour apaiser la colère des dieux. Joe, quant-à-lui, accepte de se sacrifier pour honorer sa promesse. Patricia essaye de l’en dissuader, souligne le grotesque de l’affaire, mais Joe n’en démord pas. Pour lui, la destination compte moins que le chemin parcouru, il doit tenir sa promesse. Patricia finit par en convenir et décide de sauter avec lui. Contre toute attente (sic), le volcan les recrache. L’île coule tandis que Joe et Patricia se retrouvent seuls au milieu de l’océan. Fort heureusement, les malles refont surface...
***

Produit par Spielberg, il ne fait aucun doute que l’intention des créateurs était de détourner le genre. Derrière ses allures de comédie romantique, Joe contre le volcan illustre les paradoxes de la condition humaine. On est loin de la petite morale « crois en tes rêves et ils se réaliseront ». Ici, les rêves sont des mirages.  Chaque personnage incarné par Meg Ryan verra le sien s’envoler : DeeDee veut ce que tout le monde veut, Angelica veut la reconnaissance et Patricia veut la liberté,  trois grandes utopies de notre époque. On ne doit rien désirer, nous dit John Patrick Shanley influencé par la philosophie orientale. En revanche, il faut garder l’esprit ouvert et se donner des objectifs. Joe Banks n’a aucun rêve, mais aucune motivation non plus. C’est un malade imaginaire qui se plaint sans arrêt. Son pessimisme l’empêche de voir le bon coté des choses, du coup il devient une proie facile pour les arnaqueurs. Quand on lui annonce qu’il est atteint d’une maladie incurable, il n’ira pas chercher un deuxième avis, persuadé qu’une mauvaise nouvelle est forcément vraie. L’auteur  s’intéresse à l’aliénation causée par la consommation, la perte des repères, la quête de sens et aux chemins détournés que prend le bonheur.  

Le parti-pris d’enrober sa fable d’un visuel clinquant est certainement attribuable à l’amour du réalisateur pour les vieux films, peut-être doit-on y voir un hommage à Frank Capra qui appréciait lui aussi les histoires faussement simplistes. Joe Banks possède en effet la naïveté d’un Mr Deeds. Malheureusement, les décors en studio passaient mieux à l’époque. Le choix paradoxal de placer les personnages dans des décors de plus en plus irréalistes à mesure qu'ils prennent du mieux est, à tout le moins, audacieux. On peut y voir un pied-de-nez, une invitation à ne rien prendre au sérieux.
John Patrick Shanley, qui est un dramaturge avant tout, cherchait peut-être à se moquer du genre, caricaturer l'univers rose-bonbon des comédies romantiques. C'est d'ailleurs sous cette étiquette que le marketing nous vendait le film à l'époque.    

Les spectateurs avaient plus d’une raison d’être déçus. En 1990, Tom Hanks est encore un acteur comique dont les comédies bouffonnes visent essentiellement à nous dilater la rate. Meg Ryan, quant à elle, sort à peine de Quand Harry rencontre Sally. Réuni pur la première fois à l'écran, le duo avait de quoi faire rêver. On s’attendait à voir une comédie légère, rocambolesque et fleur bleue, on a eu droit à une fable ambiguë.  Morale de l’histoire : à vouloir sauter trop loin, on fini par se brûler.
  
Et vous ! Quels sont vos films à redécouvrir ?

jeudi 23 octobre 2014

St-Vincent



Depuis les années 60, garder des enfants est devenu une bonne façon pour un acteur d'aspirer à une statuette dorée : Anne Bancroft (Miracle en Alabama), Julie Andrews (Mary Poppins), John Wayne (Cent dollars pour un shérif), Pat Morita (Karaté Kid) et Robin William (Mme Doubtfire).
Mais aussi une manière d’élargir son public : Arnold  Schwarzenegger  (Un flic à la maternelle), Hulk Hogan (M. Nounou), Vin Diesel (Le pacificateur), Dwayne Johnson (Plan de match), Jackie Chan (L’Espion d’à côté) et même Clint Eastwood (Grant Torino).  Citons au passage John Candy (Oncle Buck) et plus récemment Jonah Hill (Gardien d’enfants). La liste des nounous mal embauchées est longue.

Bill Murray a probablement voulu donner sa chance à un jeune réalisateur comme il l’avait fait avec Wes Anderson (Rushmore) et Sophia Coppola (Traduction infidèle), espérant en tirer les mêmes bénéfices, à savoir l’image d’un acteur complet et découvreur de talent. Si St-Vincent fait carrière, ce sera grâce à lui, assurément. Son allure et sa prestation nous donnent même l’impression parfois qu’on assiste à  un film hors-norme, presqu’audacieux, mais il n’en est rien. En sommes, Murray reprend le rôle que Walter Matteu (Denis la menace) a tenu toute sa carrière, l'éternel bougon au grand cœur. La bouche pâteuse et les regards coulants sont des emprunts à peine voilés à l'acteur aujourd'hui décédé.    
On a vu mille fois cette histoire du vieux grincheux et du jeune timoré qui s’aident mutuellement à donner un sens à leurs vies. Personnellement, je suis preneur, à condition que ce soit bien fait et surtout, que j’y crois. Pas ici. Il y a trop d’éléments  artificiels, à commencer par les personnages secondaires. Noami Watts dans le rôle d’une prostituée russe manque cruellement de crédibilité. Non pas qu’elle soit mauvaise mais son personnage aseptisé rappelle un peu trop celui de Julia Robert dans Une jolie femme. Quant à Melissa McCarthy, elle s’éclipse littéralement. Vous souvenez-vous de la mère de Daniel LaRusso dans Karaté Kid ? Non ! Bien, c’est un peu la même chose.  Le film n’en a que pour Bill Murray.

Passant de la comédie assumée au mélodrame convenu, les éclats de rire du début se meuvent peu à peu en sourire polis. On comprend vite que St-Vincent n’ira pas trop loin, admission générale oblige. L’humour fait place aux bons sentiments quand vient le temps de dénouer les thématiques du film, ainsi les problèmes de jeu compulsif et d’endettement du personnage seront glissés sous le tapis, ni vus, ni connus, au troisième acte.  

En sortant de la salle, je n’ai pu m’empêcher de repenser au film Comme un garçon avec Hugh Grant. Voilà une histoire de nounou mal embauchée qui renouvelait le genre. D’ailleurs les deux finales, qui se ressemblent étrangement, prouvent à quel point une thématique bien développée parvient à nous faire avaler les conventions les plus improbables.  Dommage que le réalisateur Theodore Melfi n'ait pas fait se devoirs.
6/10

ANALYSE DE L’ŒUVRE
Karaté Kid chez Bukowski

On ne s’embarque pas dans ce genre de film sans voir ce qui s'est fait auparavant. Même les studios refuseraient d’investir dans un projet semblable sans une quelconque valeur ajoutée. Jimagine assez bien Theodore Melfi dire aux producteurs « C’est un mélange entre Karaté Kid & Charles Bukowski ! ».   
Elle est là l'originalité de St-Vincent : confronter le gamin non pas à un sage oriental ou un dur-à-cuir, mais à une épave humaine, alcoolique, voleur,  menteur, joueur compulsif et fainéant. L’idée en vaut bien d’autres. Pourquoi pas, après tout ? Surtout si c’est Bill Murray qui tient le rôle.
Encore faut-il aller jusqu’au bout, pondre une histoire cohérente à partir de cette prémisse. Voilà la recette du succès. La satisfaction du spectateur passe par le sentiment que le film a fait le tour du sujet, qu’on est allé aussi loin que possible. Si je me réfère une fois de plus à Comme un garçon (Paul Weitz, 2002), la dépression de la mère est autant matière à rire (les maladresses de Hugh Grant sur le sujet) que véritable moteur de l’histoire (le garçon qui veut lui rendre hommage dans son spectacle à l’école). Le thématique n’est pas rose bonbon, ni facile à traiter. Pourtant, le film demeure léger et franchement drôle par moment.  
Theodore Melfi voulait faire un film audacieux, on le sent bien (La prostituée enceinte qui danse aux tables malgré son ventre proéminent en est un bon exemple). En gardien décadent, Bill Murray boit, fume, amène le gamin dans les bars et sur les champs de course. Jusqu’ici tout va bien. C’est ce qu’on est venu voir. On veut rire des travers d’un type tombé en disgrâce. C’est le sujet du film et le seuil d’acceptabilité du spectateur est grand ouvert. Cependant, il n’est pas facile d’aller à fond dans ce genre d’histoires. D’une part, il y a le classement à respecter (Admission générale) et d’autre part, il y a les limites de l’imagination.
La référence à Karaté Kid est évidente. La prémisse est exactement la même : Une mère monoparentale et son fils arrivent d’un autre état. Ils emménagent dans un quartier qui ne les enchante guère. Le garçon a maille à partir avec ses camarades de classe qui le tabassent sans vergogne. Heureusement, le voisin est  là. Grâce à lui, le jeune timoré apprendra à se battre et à se faire respecter. Bien entendu, dans ce cas-ci, ce n’est pas la sagesse orientale qui est à l’œuvre, mais la roublardise d’un vieil ivrogne.
Une bonne histoire de ce genre implique forcément une transformation intérieure, voire une prise de conscience. Attention, ce n’est pas un cliché mais un impératif scénaristique. Sans cette transformation, le film aurait l’air au mieux d’une série de sketchs réussis, au pire d’une œuvre  inachevée. Bien sûr, le personnage doit rester lui-même jusqu’au bout avec en prime, une ouverture d’esprit nouvelle. Telle sont les règles. Certes, on peut les contourner mais dans ce cas, il fait être prêt à renouveler le genre, au risque de s'aliéner le grand public.
Le péché de Theodore Melfi fut d’éviter à son personnage d’avoir à payer pour ses fautes. Péché mortel si l’on considère le parti-pris religieux de l’œuvre. Depuis le début, on sait que Vincent est un joueur compulsif, endetté jusqu’au cou. Le bookmaker veut son argent et les subterfuges du vieux cabotin  pour éviter de le payer sont amusants, d’autant plus qu’on imagine la suite. Nous savons tous qu’il aggrave son cas. Tôt ou tard, le bookmaker va se fâcher. C’est la trame que Theodore Melfi a choisie de nous présenter. Il peut la développer ou la contourner. La seconde option implique un retournement de situation. Soit il double la mise, soit il fait table rase des enjeux du film. C’est malheureusement la tangente que prend le récit. Le bookmaker est sur le point de tabasser Vincent lorsque celui-ci s'effondre, victime d’un AVC au cerveau. Le bandit prend la fuite et voilà, c'est terminé. Morale de l’histoire : endettez-vous jusqu’au cou et tombez malade ! Vos créanciers vont s’envoler comme par magie. Un peu de rééducation et voilà Vincent prêt être canonisé.
Pire encore, la prostituée incarnée par Noami Watts devient littéralement femme en foyer suite à la maladie de Vincent, comme si on avait passé Journal d’un vieux dégueulasse à la moulinette Disney. C’est du moins l’impression que donne St-Vincent après coup. Voilà un film qui a choisi la facilité, misant sur la popularité de ses interprètes pour faire recette plutôt que d’affronter le sujet qui était à l’origine du projet. On ne reprochera pas à Bill Murray de tout faire pour donner vie à l’ensemble. Ses grands yeux tristes savent à la fois nous faire rire et nous émouvoir. Son personnage est le mortier qui permet à toutes ces scènes disparates de tenir ensemble. Il est bon, excellent même, mais pas au point d’épargner au film un châtiment bien mérité.

vendredi 17 octobre 2014

Fury


La deuxième guerre mondiale a remplacé le farwest dans l’imaginaire collectif, une épopée barbare en terres hostiles, symbole de la re-conquête par excellence, l’Amérique moderne y a retrouvé ses fameux mythes fondateurs, adaptés au goût du jour.  La motivation des méchants est claire (anéantir un peuple), les lieux sont symboliques (le vieux continent, le Pacifique) et la mission est divine (sauver le monde de la tyrannie). Du Jour le plus long  au Soldat Ryan, nos héros se battent pour un idéal au-dessus de tous soupçons. Ironiquement, la Première Guerre ne fait pas le poids à coté, d’une part les protagonistes manquent d’envergure et d’autre part, l’histoire n’est pas aussi « pure ».

La quête d’un réalisme visuel, saint graal hollywoodien s’il en est un, a atteint son apogée en 1998 sur les plages de Normandie  grâce à Steven Spielberg. On a tous été dans la boue avec Tom Hanks, témoin de cette barbarie, certains ont même vomi leur trippes en voyant le film. Avant cela, il y avait eu Das Boot et Stalingrad, mais ceux-là ne prenaient pas l’Histoire par le bon bout de la lorgnette. En d'autre terme, nul besoin d’être un historien pour en savoir long sur la WWII, la culture populaire s’en est chargée.

Aujourd’hui, c’est Brad Pitt qui débarque. En vérité, c’est sa deuxième incursion derrière les lignes ennemies mais sous la coupe de Tarantino, il ne portait pas le flambeau du réalisme. Cette fois, c’est pour de vrai !  À bord de son tank mal foutu, lui et son équipe mal embauchée devront traverser l’enfer, hum je veux dire l’Allemagne nazie, pour libérer le monde ! Disons-le, Fury roule sur des sentiers plus battus que glorieux. Loin d’être un film-événement, il s’agit plutôt d’un produit manufacturé, solide dans son ensemble avec une bonne valeur de revente. 
Malgré tout, l'épopée du sergent Wardaddy mérite 3 étoiles et demie. Mission accomplie, pourrait-on dire. C’est un bon film de guerre, captivant du début jusqu’à la fin, avec ses moments forts, ses déchirements, ses morceaux de bravoure et ses valeureux guerriers tombés au combat. Brad Pitt incarne à lui seul le drapeau américain. Shia Leboeuf, égérie d’Indiana Jones, Gordon Gekko et Optimus Prime, entre officiellement dans la catégorie des  vétérans. Chaque acteur défend son personnage avec intensité et le sort de tous et chacun finit par nous intéresser.
J’avais peur d’aller voir un autre film de David Ayer. Ses dernières tentatives me sont restées sur l’estomac (Sabotage, End of watch). J’anticipais avec inquiétude son approche jeu vidéo. Elle est là, effectivement, bien qu’enrobée d’une touche de classicisme qui lui va comme un gant. L’école Spielberg s'est avérée formatrice. On pourrait même parler d’une certaine maturité. En sommes, Fury a passé l’épreuve du feu. C’est le genre de film déjà-vu qu’on voudrait revoir.

mercredi 15 octobre 2014

Les apparences

Je ne suis pas un inconditionnel de David Fincher. En regardant Gone Girl, j’ai enfin compris pourquoi. Son dernier film ressemble à une séance de maquillage devant le miroir. Entendons-nous, sa mise en scène est formidable. Tant au niveau de l’intrigue que des ambiances, c’est du bouillon de poulet pour l’âme des cinéphiles. Mais comme dirait mon père, c’est un peu trop arrangé avec le gars des vues.
En ce qui me concerne, ce n’est pas un défaut. J’adore les films qui jouent avec le spectateur,  nous renvoient une image déformée de nos travers et s’adonnent avec délectation aux jeux d'ombres et de lumière. À bien des égards, Fincher appartient au club des Stanley Kubrick et Christopher Nolan. Mais pas Gone girl, désolé, c’est une œuvre mineure.  Difficile de la comparer à Seven, Fight club ou encore The social network. On est plutôt dans la catégorie des Panic Room, Benjamin Button et The girl with dragon tatoo.  Chez lui, il y a les films qui jettent un regard sur la société et ceux qui se regardent eux même; la frontière entre les deux est toujours mince, c’est ce qui fait sa marque en tant qu’auteur.
La disparition d’une femme, le jour anniversaire de son mariage, nous promettait un voyage en eaux troubles. C’est le cas. L’intrigue est bien amenée et les indices retrouvés s’avèrent plus énigmatiques les uns que les autres. Malheureusement, il y a ce récit en parallèle, dénué d’émotions, à l’image des personnages, nous rappelant  que nous sommes dans une histoire bien construite.   Là où Fight Club se transformait en  véritable critique sociale, Gone girl se contente de souligner l’intelligence de son propre scénario. Ce n’est déjà pas si mal, me direz-vous, et c’est vrai.
Le problème, c’est qu’il ne faut pas trop réfléchir après le film. On réalise alors que les policiers ont mal fait leur boulot, que la réaction de certains protagonistes  est incohérente  et que le mystère entourant le fameux cabanon tient de la pirouette scénaristique.  On aurait aimé que Fincher explore davantage la motivation de ses personnages au lieu d’exécuter une peinture à numéros. En sommes, il refait la même erreur qu’avec Millénium, négligeant le contexte au profit du mystère. Il en ressort un film habile mais parsemé d'invraisemblances qui rend la conclusion acceptable seulement au deuxième degré, en tant que critique virulente de moeurs américaines.  
D’ailleurs, il est intéressant de le comparer à Mystic River qui faisait, en quelque sorte, le pari contraire. Chez Clint Eastwood, le rythme plutôt lent de l’histoire donnait aux acteurs toute la latitude nécessaire pour approfondir leur personnage. Le drame humain primait sur l'enquête policière alors que Fincher plonge les siens dans une intrigue tentaculaire où les émotions tiennent lieux d'apparences. Il en résulte deux films imparfaits, certes, mais dont on ne peut s’empêcher de croire que la fusion aurait pu aboutir à un véritable chef d’œuvre…







ANALYSE DE L’ŒUVRE
La motivation d’Amy
À lire les critiques dithyrambiques autour du film et les analyses profondes de Gone Girl décrivant l’œuvre comme une satire de l’Amérique ou une métaphore du féminisme 2.0, je me suis demandé si j’étais le seul à être resté tiède devant le dernier long-métrage de David Fincher. La réponse est non. Plusieurs cinéphiles m’ont avoué ne pas avoir été enchantés. La fin, à nos yeux, est décevante.   Pourtant, elle est tout à fait cohérente d’un point de vue analytique, si l’on considère Gone Girl d’abord comme une oeuvre satirique, une allégorie, à prendre au second degré.
J’en conviens. Il ne fait aucun doute que Fincher gratte un bobo. La question n’est pas là. Quand on regarde un film, notre premier réflexe est d’embarquer  dans l’histoire, surtout si l’approche se veut réaliste. C’est le cas ici. Bien que la trame soit fictive, on nous demande d’y croire, de considérer la situation comme étant plausible. Le début du film en particulier joue sur les cordes sensibles du drame vécu; la disparition d’un être cher, l’enquête policière, tout cela nous incite à nous identifier à la situation.   
Avant de poursuivre l’analyse de Gone Girl, attardons-nous aux codes du film réaliste. Ils se résument à ceci : Il faut y croire. C’est tout. Le réalisateur doit « blinder » son histoire, c'est-à-dire la rendre irréprochable au niveau de la cohérence. Si les faits et gestes ne sont pas crédibles, le plaisir du spectateur s’en trouve menacé. En bon français : « il décroche ». Règle général, on utilise une mise en scène invisible, de sorte que spectateur oublie qu’il regarde un film. On cherche à confondre la fiction et la réalité.
Sur le plan de la structure, Fincher y parvient. Le film tisse adéquatement sa toile. Le problème, c’est la motivation des personnages, en particulier celles d’Amy. Pourquoi agit-elle de la sorte ? Au second degré, la question offre une multitude de choix de réponses. Au premier degré toutefois, la réponse reste nébuleuse. Ce n’est pas l’argent, quelques milliers de dollars ne justifient pas toute cette mise en scène. La vengeance peut-être ?  C’est du moins ce qu’Amy laisse entendre. On comprend également, grâce à ses anciens amants, que la blonde angélique est une véritable sociopathe sans cœur ni principes. Oui, bon, mais encore.  Le stratagème d’Amy pour ruiner la vie de son mari est à ce point complexe que la finale en devient absurde.
Bien sûr, il y a cette scène où Amy est émue par le témoignage de son mari à la télévision. C’est ce qui explique sa décision de revenir auprès de lui. Lue au second degré, cette justification est suffisante. Mais dans le contexte du premier degré, la pauvre s’est donnée beaucoup de mal pour finalement revenir à son point de départ. Dans le jargon consacré, on appelle ça une méchante, un personnage qui fait le mal pour le mal. Dans un film de super-héros ou une série B, c’est suffisant. Mais dans un film sérieux, le spectateur est plus exigeant. Même les antagonistes hitchcockiens ont une motivation (récupérer le microfilm). Dans le cas d’Amy, son retour est motivé par la perte de son argent et pour échapper à l’emprise d’un amant obsédé. Ça peut se comprendre, oui bon peut-être, mais ça n’explique toujours pas la raison de départ. Si son stratagème avait fonctionné, elle s’enfuyait avec une petite liasse d’argent (50 000 $ tout au plus),  tenue pour morte, sans identité ni d’endroit où se réfugier, on peut se demander comment de temps aurait durée sa cavale.
Mais jouons-le jeu. Partons du fait qu’Amy est une sociopathe qui réfléchit beaucoup à ses mauvais coups mais peu à son avenir. D’ailleurs, elle envisage même de se donner la mort pour mieux se venger de Nick. Bon, Amy est une psychopathe brillante mais écervelée, soit ! Mais Nick, lui ? Pourquoi la laisse-t-il revenir ? Pourquoi se sent-il prisonnier de la situation ? Par culpabilité, dit-il. Au second degré, cette déclaration explique bien des choses. Mais au premier degré, une réaction normale aurait été de dire : Minute ! Tu as essayé de ruiner ma vie ! Tu voulais me voir condamné à mort (on est au Missouri) ! Tu t’es arrangée pour que ma sœur jumelle soit accusée de complicité ! Me semble que c’est impardonnable. Et malgré tout, Nick reprend sa femme. Son aliénation a de quoi faire saliver les adeptes du second degré mais beaucoup de spectateurs, dont moi,  y voient un raccourci, une pirouette facile en guise de finale. Non pas que j’aurais voulu que la méchante paye pour son crime, ça n’a rien à voir. J’aurais voulu que les personnages soient cohérents avec eux-mêmes.
Le film veut nous faire croire que c’est l’influence des médias qui motivent leurs décisions. En ce sens, Fincher tient un discours didactique, très répandu dans la société. Son message aurait été encore plus fort s’il avait su donner à ses personnages des motivations crédibles. Je pense ici à « Seven », l’un de ses premiers films où il parvenait très bien à transcender le premier degré grâce, justement, aux motivations du psychopathe. Le fait que celui-ci agissait pour des motifs religieux permettait au film de mieux nous interroger sur nos propres valeurs. Le message était à la fois plus complexe et mieux élaboré. On s’est tous demandé ce que nous aurions fait à la place de Brad Pitt: tuer ou rester civilisé ?  Le film nous ramenait à une question fondamentale, à nos instincts primaux. Ce ne n’est pas le cas avec le personnage de Nick dans Gone Girl. La seule question que pose sa réaction concerne la cohérence de l’intrigue. Mais bon, puisque David Fincher est devenu un demi-dieu pour bon nombre de cinéphiles, laissons-les communier en paix.    

jeudi 9 octobre 2014

Le juge

Difficile de renouveler le genre après le passage de l’ouragan Grisham dans les années 90. Les films de procès sont devenus les pourfendeurs du capitalisme sauvage et de l’exclusion sociale…au grand plaisir des studios.  Les codes en sont simples : une cause perdue d’avance (12 hommes en colère,  Le verdict), une prise de conscience difficile (JFK, Philadelphia) et une finale spectaculaire où la vérité éclate au grand jour (Des hommes d’honneur, Présumé innocent). The Jugde s’inscrit pour sa part dans une sous-catégorie du genre, à savoir les films à procès impliquant deux membres d’une même famille (Music Box, Confrontation à la barre). Dans ces conditions, il lui était difficile de se démarquer.
Disons-le : avec une distribution moins prestigieuse, le film aurait fini en combo sur Netflix. C’est là qu’on voit toute l’importance des acteurs. D’un coup de baguette magique (ou de visages connus), un petit film d’après-midi peut subitement aspirer à une nomination aux oscars et une carrière honorable.  
Enfin Robert Downey Jr délaisse les rôles de surhommes pour jouer un gars ordinaire. La transition est d’ailleurs bien amenée puisqu’il interprète un super-avocat qui revient dans son patelin d'origine, là où il n’est plus qu’un fils indigne cherchant l’approbation de son père. Ce retour aux sources, ni simple ni volontaire, donne au long-métrage sa dimension la plus intéressante.  Le film colporte tous les clichés sur l’Amérique profonde auxquels on peut s’attendre. Les rôles secondaires sont sympathiques. Mention spéciale à Vera Farmiga qui brille par sa beauté et son naturel. Quant à Robert Duvall, il est égal à lui-même grâce à cette force tranquille qui caractérise son jeu depuis un demi-siècle. On peut se demander toutefois ce qu’un Jack Nicholson, qui a été pressenti pour le rôle, aurait fait du personnage.  
Au final, Le Juge ne fera pas d’ombres à ses illustres prédécesseurs. Le procès n’est qu’un prétexte, on le sent bien. Seule la relation père-fils a de l’importance. Dans le rôle du procureur, Billy Bob Thornton se bat pour apparaître à l’écran.  Il manque au Juge cette valeur ajoutée que possède des films comme Howl, Michael Clayton ou encore l’affaire Dumont, ce regard particulier que porte la caméra sur ses personnages. L’intrigue judiciaire sert en définitive de pressing  pour un lavage de linges sales en famille. Plus proche visuellement de Mon cousnVinny que de Kramer vs Kramer, on a parfois l'impression que la facture du film est trop légère pour son sujet:  la petite ville bucolique à souhait, l'avocat débutant qui vomit avant chaque audience, les discussions romantiques au bord du lac, tout cela trahit les antécédents de Dodkin.  Le réalisateur de Garçons sans honneur évite les faux-plis, certes, mais peine à donner vie à l'ensemble.  Il se contente de rendre justice aux acteurs, ce qui n’est déjà pas si mal.
 

jeudi 2 octobre 2014

Mommy

Le phénomène Xavier Dolan ne se dément pas. D’un film à l’autre, il corrige les défauts du précédent et pousse encore plus loin ses thèmes personnels. Mais pour être franc, jusqu’ici, je n’étais pas conquis. Pas vraiment. Je le suivais comme on s’intéresse à un jeune hockeyeur promis à un bel avenir dans la LNH. J’applaudissais l’étoile montante sans qu’aucun de ses films n’entrent dans mon top 10 de l’année.   Avec Tom à la ferme, on y était presque, mais pas encore. En bon français, je les aimais avec ma tête. Cette fois,  c’est un coup de cœur, un vrai. Mommy m’a conquis. Je suis sorti du cinéma chamboulé. Ni trop léger, ni trop lourd, ce cinquième opus m’a confondu, alliant profondeur, humour, scènes chocs et finale poignante. Un grand film.
La relation mère-fils nous est révélée par couches successives, comme des poupées russes. On sent le « trop plein » entre eux, de sorte que l’arrivée d'une voisine, qui cherche à combler un vide, confère à l’histoire un équilibre presque chimique. On dirait les particules d’un même atome, s’attirant et se repoussant au gré des événements. Le talent de Xavier Dolan est de mettre en scène des personnages qui n'ont plus la force de faire semblant. La coupe est pleine et ils débordent, voilà ce que propose Mommy en substance. C'est dans la vérité des émotions que le film puise son réalisme, tout le reste n’est que fureur et vertiges ponctués d’humour et de répliques savoureuses. Jamais le récit ne bascule dans  le mélodrame, ni ne succombe à l’envie de nous faire la morale. Tel un métronome, le réalisateur sait exactement quand offrir au spectateur la bouffée d’air dont il a besoin, ces moments de légèreté qui donnent au long-métrage toute sa poésie.     
Le format 4.3 (écran carré) est habilement utilisé et la bande sonore s’intègre  parfaitement au récit. Quant aux interprétations, je n’ose pas m’étendre sur le sujet par crainte de favoriser l’un au détriment de l’autre. Ils sont tous excellents.  Je ne pensais pas un jour être aussi dithyrambique à propos de Xavier Dolan. Et bien, ce jour est arrivé. Mommy n’est pas juste un bon film québécois, c’est un bon film tout court. Et il risque de figurer parmi mon top 3 de l’année.     
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