jeudi 23 octobre 2014

St-Vincent



Depuis les années 60, garder des enfants est devenu une bonne façon pour un acteur d'aspirer à une statuette dorée : Anne Bancroft (Miracle en Alabama), Julie Andrews (Mary Poppins), John Wayne (Cent dollars pour un shérif), Pat Morita (Karaté Kid) et Robin William (Mme Doubtfire).
Mais aussi une manière d’élargir son public : Arnold  Schwarzenegger  (Un flic à la maternelle), Hulk Hogan (M. Nounou), Vin Diesel (Le pacificateur), Dwayne Johnson (Plan de match), Jackie Chan (L’Espion d’à côté) et même Clint Eastwood (Grant Torino).  Citons au passage John Candy (Oncle Buck) et plus récemment Jonah Hill (Gardien d’enfants). La liste des nounous mal embauchées est longue.

Bill Murray a probablement voulu donner sa chance à un jeune réalisateur comme il l’avait fait avec Wes Anderson (Rushmore) et Sophia Coppola (Traduction infidèle), espérant en tirer les mêmes bénéfices, à savoir l’image d’un acteur complet et découvreur de talent. Si St-Vincent fait carrière, ce sera grâce à lui, assurément. Son allure et sa prestation nous donnent même l’impression parfois qu’on assiste à  un film hors-norme, presqu’audacieux, mais il n’en est rien. En sommes, Murray reprend le rôle que Walter Matteu (Denis la menace) a tenu toute sa carrière, l'éternel bougon au grand cœur. La bouche pâteuse et les regards coulants sont des emprunts à peine voilés à l'acteur aujourd'hui décédé.    
On a vu mille fois cette histoire du vieux grincheux et du jeune timoré qui s’aident mutuellement à donner un sens à leurs vies. Personnellement, je suis preneur, à condition que ce soit bien fait et surtout, que j’y crois. Pas ici. Il y a trop d’éléments  artificiels, à commencer par les personnages secondaires. Noami Watts dans le rôle d’une prostituée russe manque cruellement de crédibilité. Non pas qu’elle soit mauvaise mais son personnage aseptisé rappelle un peu trop celui de Julia Robert dans Une jolie femme. Quant à Melissa McCarthy, elle s’éclipse littéralement. Vous souvenez-vous de la mère de Daniel LaRusso dans Karaté Kid ? Non ! Bien, c’est un peu la même chose.  Le film n’en a que pour Bill Murray.

Passant de la comédie assumée au mélodrame convenu, les éclats de rire du début se meuvent peu à peu en sourire polis. On comprend vite que St-Vincent n’ira pas trop loin, admission générale oblige. L’humour fait place aux bons sentiments quand vient le temps de dénouer les thématiques du film, ainsi les problèmes de jeu compulsif et d’endettement du personnage seront glissés sous le tapis, ni vus, ni connus, au troisième acte.  

En sortant de la salle, je n’ai pu m’empêcher de repenser au film Comme un garçon avec Hugh Grant. Voilà une histoire de nounou mal embauchée qui renouvelait le genre. D’ailleurs les deux finales, qui se ressemblent étrangement, prouvent à quel point une thématique bien développée parvient à nous faire avaler les conventions les plus improbables.  Dommage que le réalisateur Theodore Melfi n'ait pas fait se devoirs.
6/10

ANALYSE DE L’ŒUVRE
Karaté Kid chez Bukowski

On ne s’embarque pas dans ce genre de film sans voir ce qui s'est fait auparavant. Même les studios refuseraient d’investir dans un projet semblable sans une quelconque valeur ajoutée. Jimagine assez bien Theodore Melfi dire aux producteurs « C’est un mélange entre Karaté Kid & Charles Bukowski ! ».   
Elle est là l'originalité de St-Vincent : confronter le gamin non pas à un sage oriental ou un dur-à-cuir, mais à une épave humaine, alcoolique, voleur,  menteur, joueur compulsif et fainéant. L’idée en vaut bien d’autres. Pourquoi pas, après tout ? Surtout si c’est Bill Murray qui tient le rôle.
Encore faut-il aller jusqu’au bout, pondre une histoire cohérente à partir de cette prémisse. Voilà la recette du succès. La satisfaction du spectateur passe par le sentiment que le film a fait le tour du sujet, qu’on est allé aussi loin que possible. Si je me réfère une fois de plus à Comme un garçon (Paul Weitz, 2002), la dépression de la mère est autant matière à rire (les maladresses de Hugh Grant sur le sujet) que véritable moteur de l’histoire (le garçon qui veut lui rendre hommage dans son spectacle à l’école). Le thématique n’est pas rose bonbon, ni facile à traiter. Pourtant, le film demeure léger et franchement drôle par moment.  
Theodore Melfi voulait faire un film audacieux, on le sent bien (La prostituée enceinte qui danse aux tables malgré son ventre proéminent en est un bon exemple). En gardien décadent, Bill Murray boit, fume, amène le gamin dans les bars et sur les champs de course. Jusqu’ici tout va bien. C’est ce qu’on est venu voir. On veut rire des travers d’un type tombé en disgrâce. C’est le sujet du film et le seuil d’acceptabilité du spectateur est grand ouvert. Cependant, il n’est pas facile d’aller à fond dans ce genre d’histoires. D’une part, il y a le classement à respecter (Admission générale) et d’autre part, il y a les limites de l’imagination.
La référence à Karaté Kid est évidente. La prémisse est exactement la même : Une mère monoparentale et son fils arrivent d’un autre état. Ils emménagent dans un quartier qui ne les enchante guère. Le garçon a maille à partir avec ses camarades de classe qui le tabassent sans vergogne. Heureusement, le voisin est  là. Grâce à lui, le jeune timoré apprendra à se battre et à se faire respecter. Bien entendu, dans ce cas-ci, ce n’est pas la sagesse orientale qui est à l’œuvre, mais la roublardise d’un vieil ivrogne.
Une bonne histoire de ce genre implique forcément une transformation intérieure, voire une prise de conscience. Attention, ce n’est pas un cliché mais un impératif scénaristique. Sans cette transformation, le film aurait l’air au mieux d’une série de sketchs réussis, au pire d’une œuvre  inachevée. Bien sûr, le personnage doit rester lui-même jusqu’au bout avec en prime, une ouverture d’esprit nouvelle. Telle sont les règles. Certes, on peut les contourner mais dans ce cas, il fait être prêt à renouveler le genre, au risque de s'aliéner le grand public.
Le péché de Theodore Melfi fut d’éviter à son personnage d’avoir à payer pour ses fautes. Péché mortel si l’on considère le parti-pris religieux de l’œuvre. Depuis le début, on sait que Vincent est un joueur compulsif, endetté jusqu’au cou. Le bookmaker veut son argent et les subterfuges du vieux cabotin  pour éviter de le payer sont amusants, d’autant plus qu’on imagine la suite. Nous savons tous qu’il aggrave son cas. Tôt ou tard, le bookmaker va se fâcher. C’est la trame que Theodore Melfi a choisie de nous présenter. Il peut la développer ou la contourner. La seconde option implique un retournement de situation. Soit il double la mise, soit il fait table rase des enjeux du film. C’est malheureusement la tangente que prend le récit. Le bookmaker est sur le point de tabasser Vincent lorsque celui-ci s'effondre, victime d’un AVC au cerveau. Le bandit prend la fuite et voilà, c'est terminé. Morale de l’histoire : endettez-vous jusqu’au cou et tombez malade ! Vos créanciers vont s’envoler comme par magie. Un peu de rééducation et voilà Vincent prêt être canonisé.
Pire encore, la prostituée incarnée par Noami Watts devient littéralement femme en foyer suite à la maladie de Vincent, comme si on avait passé Journal d’un vieux dégueulasse à la moulinette Disney. C’est du moins l’impression que donne St-Vincent après coup. Voilà un film qui a choisi la facilité, misant sur la popularité de ses interprètes pour faire recette plutôt que d’affronter le sujet qui était à l’origine du projet. On ne reprochera pas à Bill Murray de tout faire pour donner vie à l’ensemble. Ses grands yeux tristes savent à la fois nous faire rire et nous émouvoir. Son personnage est le mortier qui permet à toutes ces scènes disparates de tenir ensemble. Il est bon, excellent même, mais pas au point d’épargner au film un châtiment bien mérité.

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