dimanche 25 janvier 2015

Le jeu de l'imitation


Pressenti avant noël pour être l'un des favoris dans la course aux oscars, il apparaît aujourd'hui peu probable que le long-métrage de Morten Tyldum reparte avec la statuette du meilleur film cette année. Au mieux Benedict Cumberbatch damera le pion à Michael Keaton mais j'en doute. Comparé aux autres nominés, Le jeu de l'imitation ressemble à un aristocrate dans un concert rock. Son classicisme ne fait pas le poids devant l'audace et la créativité de ses concurrents.   À trop vouloir donner le beau rôle à un seul acteur, le film se perd en conjectures et ne s'appuie, au final, que sur les faits historiques pour insuffler à l'ensemble une certaine grandeur.

Il est vrai que l'histoire d'Alan Turing n'est pas facile à raconter. Non seulement il fut un mathématicien de génie, c'était aussi un autiste Asperger et un homosexuel refoulé. Les créateurs ont voulu nous épargner des explications compliquées sur les maths et le décryptage pour se concentrer sur les difficultés de Turing à communiquer avec son entourage. 

Le film explore 3 périodes de sa vie: sa jeunesse où il découvre sa sexualité et ses talents de décrypteur, ensuite la fabrication de cette machine qui permettra aux Alliés de déchiffrer les codes nazis et enfin les dernières années de sa vie où il sera ostracisé à cause de son homosexualité.  L'alternance de ces 3 périodes visent essentiellement à nous faire comprendre à quel point Alan Turing est un homme qui a souffert. 

Or, en choisissant l'angle du "human interest", les créateurs passent à coté du vrai sujet, à savoir comment fonctionnait l'esprit de cet homme. Bien sûr,  adopter un angle plus technique comportait des risques. Les spectateurs ne sont pas des mathématiciens. Moi le premier. Par contre, j'aurais voulu connaître les différentes déductions qui ont permis à Turing de concevoir sa machine. Quand je regarde un film comme Moneyball, je ne comprends rien aux statistiques dont il est question. L'important,  c'est de savoir comment ces statistiques influencent le jeu. Dans les deux films, le but est de convaincre les septiques au plus vite. C'est une course contre la montre. Moneyball y consacre plusieurs scènes.  En revanche, Imitation Game ne fournie aucune explication. Les septiques se rallient comme par magie quand le commandant menace de congédier le génie incontrôlable.  Du coup, le coeur de l'intrigue, cette fameuse machine à décrypter, reste un mystère complet, un objet désincarné que notre héros appelle affectueusement Christopher. Personne sauf lui ne sait comment elle fonctionne. Du point de vue narratif, elle agit comme un obstacle entre Turing et son entourage. Lui seul  la comprend, les autres non (incluant le spectateur). L'intrigue se focalise entièrement sur ce génie bizarre, incapable de communiquer ni sa passion, ni ses idées. On est forcé de s'identifier à lui parce que les tous les autres personnages se contentent de faire de la figuration.

Par ailleurs, en divisant l'histoire en 3 périodes, dont 2 mettent l'accent sur l'homosexualité de héros, les créateurs ont fait un choix prudent. EN 2015, l'injustice dont il a souffert nous apparaît aberrante. Il fallait certes aborder le sujet pour bien cerner le personnage, mais le film louvoie dans ce domaine. On en parle beaucoup sans jamais créer de véritables tensions dramatiques. À l'inspecteur qui l'interroge, il racontera son histoire classée «top secret» et finira par être accusé de grossière indécene, réduisant l'interrogatoire à un astuce scénaristique, une ellipse maladroite qui fait le pont entre une conversation fictive (je suppose) et des faits réels.

On peut se questionner sur la pertinence de ce troisième axe narratif.  J'imagine mal Turing révélé à un simple policier toute l'histoire. Si Alan Turing s'est retrouvé devant les tribunaux à cause de son homosexualité, pourquoi utiliser l'interrogatoire comme un prétexte pour parler d'Enigma ? Non seulement c'est peu crédible d'un point de vue historique mais en plus, ce procédé malhabile trahit le manque d'aplomb des auteurs face au sujet.

Toute l'oeuvre et l'esprit d'Alan Turing était vouée au décryptage, lui-même se fichait de ne pas être normal (c'est du moins ce que le film prétend). La question  est de savoir si Turing aurait voulu être dépeint de cette manière. Je n'accuse pas les créateurs du film. Ils ont faits des choix artistiques. En ce qui me concerne, la question se pose chaque fois qu'une biopic s'attarde plus à la vie personnelle qu'à l'oeuvre d'un personnage historique. Je pense ici à Chaplin de Richard Attenborough ou Jerry d'Alain Desrochers, deux films qui accordaient plus d'importance aux déboires sentimentaux de l'artiste qu'à sur sa contribution au monde de l'art. Sans dire que Le jeu de l'imitation va aussi loin, il reste que les auteurs ont préféré multiplier les anecdotes plutôt que d'approfondir un sujet.

En conclusion, Le jeu de l'imitation est une bonne biopic, conventionnelle et efficace, qui lève le voile sur un fait méconnu de l'Histoire récente mais qui aurait gagné à être traité avec plus d'audace.

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