jeudi 15 janvier 2015

Birdman


À trop vouloir faire le tour d'un sujet, on le vide parfois de sa substance. C'est un peu l'impression que m'a laissé Birdman à sa sortie.
Le film ne manque pas de qualités pourtant, ni d'ambitions. Les acteurs sont bons, le sujet est pertinent et la caméra filme les coulisses du théâtre comme un vrai labyrinthe. Rarement a-t-on vu des travellings aussi complexes, alternant dans un même plan séquence : fiction et réalité, passé et présent, drame et humour. Non seulement la mise en scène est impressionnante mais elle confère au film cette ambiance particulière, chaotique et teintée de voyeurisme.

Birdman, c'est le super-héros qu'incarnait Riggan Tompson avant de tourner le dos à la franchise pour s'émanciper en tant qu'acteur. Son désir d'accomplissement a fait de lui un has been et, 20 ans plus tard, il tente de redorer son blason en adaptant sur Broadway un texte exigent de Raymond Carver. Le peu d'argent qu'il lui reste est investi dans cette pièce sensée redonner un sens à sa vie. Mais lui-même n'y croit pas vraiment. Ce projet suscite autant d'espoir que de colère de sa part et son sentiment d'impuissance se traduit par l'illusion de super-pouvoirs. Tel Johnny Weissmuller avec tarzan, Rigger Tompson en est venu à se prendre pour Birdman.

L'audace du film est de nous montrer que sa quête est une utopie. Il a beau s'investir corps et âme dans ce projet, sa démarche n'en reste pas moins pathétique. La critique du New-York Times condamne sa pièce d'avance, par principe, à cause de ce que Riggan Tompson représente à ses yeux: cette culture de masse dont il est à la fois le symbole...et la victime. 

Innaritu s'applique à filmer les conflits intérieurs que ceux qui vivent dans le regard des autres. Leur détresse psychologique en devient ironique, toujours à mi chemin entre le vrai et le faux, tiraillés qu'ils sont entre leur besoin de plaire et  cette volonté d'être unique, rebelle, voire méprisant. À ce chapitre, le personnage d'Edward Norton (dont on dit qu'il est plus vrai sur scène que dans la réalité) est particulièrement évocateur. Avec sa caméra rapprochée, Inarritu croque leur vulnérabilité dans ce qu'elle a de plus intime.  

Son discours sur la culture de masse est impitoyable. La valeur d'un acteur ne se mesure pas à son talent mais au nombre de clic sur Twitter. Tompson réalisera son rêve en faisant un fou de lui. C'est son humiliation publique qui lui apporte la gloire, relayée sur les médias sociaux comme un fait divers, le buzz du moment. Le propos serait simpliste s'il n'était pas doublé d'une question sous-jacente:  cette folie n'est-telle pas aussi l'essence de l'art véritable ? Un artiste doit se dépasser lui-même, danser au bord du gouffre, s'il veut transcender le déjà-vu, le déjà fait, la monotonie de l'art pour l'art. En ce sens, le réalisateur donne raison à son personnage.

Si la névrose est le thème central du film, Inarritu refuse de prendre position sur le sujet, multipliant les fins alternatives pour mieux nuancer l'hypothèse de la scène précédente. Il en résulte une finale plus didactique que surprenante. On réalise alors que si l'émotion des acteurs est à fleur-de-peau, le spectateur en revanche gardera de ce spectacle une impression assez tiède. On en sort ni indigné par la condition humaine qui  transpirait d'Amores perros, ni par l'effet papillon qui baignait l'atmosphère de Babel.  Il n'en reste pas moins que Birman est un bel exercice de style, audacieux dans le discours, mais frileux dans sa manière de conclure. 

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