samedi 21 mars 2015

Le combat de Charlie Wilson (Aaron Sorkin PARTIE 2)


Après le succès de The West Wing et l'échec de sa série suivante Studio 60 on the Sunset Strip, Sorkin revient au cinéma avec La guerre de Charlie Wilson, une allégorie sur les dérives de l'idéologie politique inspirée d'une histoire vraie. C'est également le chant du cygne de Mike Nichols (1931-2014) qui prouvait avec ce film qu'il n'avait rien perdu de son mordant, jouant sur les apparences  d'un bout à l'autre sans jamais tomber dans la caricature ni la dénonciation excessive. La satire, qui n'est pas sans rappeler Wag the dog (Barry Levinson, 1997), dresse un portrait peu flatteur des opérations secrètes menées par le gouvernement à l'insu de la population. Aux faits réels Sorkin juxtapose des personnages dogmatiques soumis aux impératifs de leurs ambitions, une thématique chère à l'auteur. Ce deuxième volet est donc consacré aux personnages et à leur impact sur la construction narrative.

Aux débuts des années 80, alors que la Russie tente d'envahir l'Afghanistan, le sénateur Charlie Wilson (Tom Hanks) débloque des fonds secrets pour armer des Moudjahidines, le budget de cette guerre clandestine passera de cinq millions à un demi-milliard en quelques années, permettant ainsi aux Afghans de remporter la victoire.

Bien sûr, le film est un clin d'oeil ironique à la politique de son époque (en 2007 Georges W. Bush est encore au pouvoir), le spectateur sait que les armes fournies aux afghans vont se retourner contre les américains deux décennies plus tard et c'est peut-être ce qui explique l'échec du film au box-office. Il suffit de regarder l'introduction où l'on voit un islamiste prier en contre-jour, puis s'emparer d'un bazooka et tirer vers l'écran pour comprendre le sous-texte.  Malgré tout, le ton n'est pas vindicatif ou accusateur, ni Reagan ni le parti Républicain ne sont dans la mire des auteurs, le propos est ailleurs, on vise plutôt les dérives du système et le règne de la politicaillerie. C'est l'insouciance des élus comme Charlie Wilson qui nous fait peur. Les auteurs s'emploient à démontrer avec quelle facilité toute cette opération a été mise sur pied, contre l'avis des experts et avec la complicité des belligérants comme Israël qui vendit des armes aux arabes pour l'occasion. Personne n'oppose de résistance parce que tout est une question de services rendus et d'opportunités d'affaires.

Si la quête apparente de Charlie est de gagner la guerre froide, sa vraie motivation est de plaire à une riche donatrice (Julia Roberts). Ce n'est pas en vain que Mike Nichols utilise deux têtes d'affiches plus ou moins associées à la comédie romantique pour nous raconter ce complot politique; tout son film est empreint d'une légèreté qui contraste avec la gravité des conséquences à venir.
La construction est la même pour les trois personnages principaux, illustrant d'abord leur coté décadent pour ensuite nous surprendre par leur intelligence, cette courbe psychologique ultra-rapide facilitant notre identification aux personnages. D'emblée, Charlie nous est présenté dans un bain tourbillon entouré de prostituées, d'alcool et de drogue, mais dès qu'un reportage télévisé sur l'Afghanistan attire son attention, on comprend que ce politicien frivole n'est pas qu'un bouffon, il s'intéresse aux relations internationales et il a une réputation à défendre:"Je te demanderais de ne pas salir mon nom car je l'utilise moi aussi de temps à autre".

Tout le premier acte du film alterne vulgarité et intelligence: les assistantes de sénateur, choisies soi-disant pour leur tour de poitrine, se révèlent tout à fait compétentes quand vient le temps de gérer une crise médiatique. Charlie est l'exemple même du politicien qu'on trouve sympathique:"Les gens de ma circonscription ne demandent jamais rien. Ils payent leurs impôts et réclament seulement le droit de porter une arme", fanfaronne-t-il pour expliquer que tout le monde lui doit un service. C'est un démocrate texan ouvert d'esprit qui manie l'art du compromis. Son personnage n'évolue pas durant le film, sinon dans sa conviction de faire la guerre. Il multiplie les roublardises pour rallier des gens à sa cause sans jamais approfondir sa réflexion. À ceux qui le mettent en garde contre les dangers d'intervenir dans cette région du monde, il répond que l'Afghanistan n'est qu'un tas de cailloux. C'est seulement dans les dernières minutes du film, en guise de conclusion, alors que le sénat refuse de payer pour la reconstruction du pays, qu'il prend conscience des répercussions possibles. C'est l'ambition qui le guide.

Le personnage de Joane Herring (Julia Robert) est plus complexe, d'une part parce que c'est une femme influente aux allégeances douteuses et d'autre part puisqu'il s'agit d'une chrétienne fondamentaliste qui combat le communisme au nom de la religion, ce qui ne l'empêche pas de lever des fonds pour la cause afghane en mettant aux enchères de jolies femmes, ni de coucher avec Charlie pour le convaincre d'aller rencontrer le président Pakistanais. Elle a tout de l'antagoniste classique avec ses allures de vamp manipulatrice mais jamais le film ne la cloue aux pilotis, peut-être pour éviter de froisser la dame en question, mais surtout parce que chez Sorkin, les fortes têtes savent se défendre toutes seules.  C'est au spectateur de porter ses propres jugements et le scénariste se garde bien de fournir des réponses trop satisfaisantes. En outre, Julia Robert insuffle à son personnage tout le charme et l'intelligence nécessaire pour nous empêcher de la juger trop vite. C'est l'idéologie qui guide son personnage.

Enfin, le dernier protagoniste, l'agent de la CIA Gust Avrakitos est le plus éclairé des trois: il connait la situation géopolitique et les dangers potentiels, mais il est trop cynique pour s'y opposer. C'est un homme de terrain qui a besoin d'un ennemi à combattre comme en témoignage sa scène d'introduction où il engueule son patron pour une question d'affectation. Colérique et grossier, il n'en est pas moins intelligent et Philip Seymour Hoffman en donne une interprétation formidable. Au lieu d'en faire un objecteur de conscience, Sorkin l'utilise pour véhiculer l'humour, le type n'hésitant pas à dire à un Israélien, sur un ton détaché, que la CIA a entraîné des égyptiens durant la guerre des 6 jours juste pour mettre le feu aux poudres.  Une seule fois, il tentera de mettre en garde Charlie contre l'opération en lui racontant une parabole *, mais il sera interrompu et n'y reviendra qu'à la toute fin du film. C'est le cynisme qui le guide.

Même s'il s'inspire d'une histoire vécue, Sorkin développe avant tout une réflexion et pour y parvenir, sans trahir les faits, il met en opposition la quête et la motivation des personnages de manière à tenir un double discours. Ainsi, dans la scène avec le vendeur d'armes israélien, la quête officielle de Gust est de soutenir la démarche de Charlie, mais sa motivation profonde est de voir échouée cette négociation, d'où ses déclarations alambiquées à propos de la CIA. Si ses répliques nous amusent et donnent un ton irrévérencieux à la scène, elles servent également à éveiller notre sens critique.

En règle générale, c'est la quête des personnages qui détermine la scène (en fonction de l'enchaînement) tandis que leurs motivations structurent l'action et donnent le ton. Par exemple,  quand Charlie et Gust se rencontrent la première fois pour parler du programme afghan, leur motivation est de savoir s'ils peuvent se faire confiance. Le sénateur demande sans cesse à l'espion de sortir une minute afin qu'il puisse discuter en privé avec ses assistantes et après ce vaudeville rigolo, Gust lui avouera qu'il avait placé un mouchard dans son bureau. Loin de s'en formaliser, Charlie débouche la bouteille contenant le mouchard et trinque avec l'espion: les deux se font désormais confiance. Outre la double conversation où le sénateur discute d'un coté avec ses assistantes d'un scandale le concernant et de l'autre, du programme afghan avec Gust, notons que jamais les deux hommes ne s'affrontement verbalement, tout le dialogue est consacré à l'information pertinente tandis que leurs motivations construisent la dynamique de la scène, amènent l'humour et les éléments de surprise.

Chez Sorkin, ce sont moins les protagonistes qui s'affrontent que leurs idées. Il n'aime pas qualifier ses personnages de bons ou mauvais, moraux ou immoraux, chacun a le droit de défendre son point de vue et c'est au spectateur à trancher.  L'ambition, l'idéologie et le cynisme qui marque le caractère des trois personnages principaux est souligné de manière à sous-entendre que ces gens, aussi imputables soient-ils, agissent au nom de motivations puériles sans être des idiots pour autant. Bassesse et grandeur se côtoient et se stimulent l'un et l'autre. Si la scène d'ouverture et de fermeture du film est la même, à savoir une remise de médaille à Charlie Wilson pour service rendue à la nation, l'impression qui s'en dégage est différente. Le jeu de Tom Hanks est subtil, naviguant entre la fierté et le malaise, et c'est précisément cette ambiguïté qui génère une réflexion.

D'ailleurs, la seule note moralisatrice du film concerne la reconstruction de l'Afghanistan, une cause que plaide Gust près avoir raconté sa parabole. Cette compassion soudaine ne lui ressemble guère et on devine que c'est l'auteur qui parle. Notons qu'il met ces paroles dans la bouche non pas d'un ambitieux ou d'une idéaliste, mais plutôt d'un cynique. À bon entendeur, salut !

*
La parabole de Gust:

Un garçon reçoit un cheval pour son anniversaire.
Les villageois disent: "C'est fantastique"
Le maître zen répond:"Nous verrons"

Le garçon tombe de cheval et se casse une jambe.
Les villageois disent: "C'est effroyable"
Le maître zen répond:"Nous verrons"

Une guerre éclate et tous les hommes partent sauf le garçon à la jambe cassée.
Les villageois disent: "C'est une bonne chose"
Et le maître zen répond:"Nous verrons"

Prochain volet: "The social network", David Fincher, 2010.



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