vendredi 27 mars 2015

The Social Network (Aaron Sorkin PARTIE 3)

Film évènement de l’année 2010, The social network marque la collaboration de trois grands créateurs : Aaron Sorkin bien sûr, le réalisateur David Fincher et le compositeur Trent Reznor qui donne au film son ambiance si particulière. C’est aussi la consécration pour Sorkin qui acquiert ses lettres de noblesse au cinéma. Les critiques louangèrent ses dialogues ciselés et leur tempo rapide. Notons qu’il s’agit d’une adaptation du livre The accidental billionnaires de Ben Mezrich, un récit linéaire que Sorkin va reconstruire habilement. Ce troisième volet est donc consacré à la construction narrative tout en poursuivant la réflexion sur l’ambition du marginal.

 
Suite au succès que rencontre Facebook à travers le monde, David Zuckerberg fait face à deux poursuites judiciaires, l’une d’Edouardo Saverin qui fut cofondateur du site avant d’être évincé par son ami et l’autre des frères Winklevoss qui accusent Zuckerberg d’avoir volé leur idée.

 
Toujours soucieux de tenir un propos, Sorkin s’intéresse cette fois à la trahison, comment et pourquoi elle se manifeste. Pour mener de front la chronologie des évènements et sa réflexion sur le sujet, il développe deux trames en parallèle : les audiences concernant la poursuite Edouardo et celle des frères Winklevoss, chacune entrecoupée de flashbacks qui récapitulent les faits. Celle d’Edouardo se concentre sur l’amitié tandis que la deuxième traite de l’opportunisme. À cette double trame, Sorkin juxtapose cinq actes bien définis qui décrivent avec force et détails comment des gens de bonne foi finissent par perdre leur sens moral.

 
Le premier acte raconte les circonstances entourant la création de facemash, un site misogyne que Mark met en ligne pour se venger de sa copine qui vient de rompre. Cette rupture, qui ouvre le film, exploite à fond la double-conversation chère à Sorkin. Même s’il saute du coq à l’âne, Zuckerberg en revient toujours à parler des finals clubs qui lui sont inaccessibles. Le dialogue met en évidence son sentiment d’infériorité face à ces clubs, mais aussi son intelligence supérieure, sa copine ayant du mal à le suivre. Non seulement le créateur de Facebook nous est présenté comme un type envieux et arrogant, l’épisode facemash souligne également ses talents de pirate informatique, de même que sa vulnérabilité puisqu’il abandonne un cours après avoir reçu un billet insultant de la part d’une étudiante, le tout couronné de succès avec 22 000 visites sur son site, un nombre qui se sera répété par 3 personnages différents, dont les frères Winklevoss, dans 2 situations distinctes à quelques scènes d’intervalles, imprimant ainsi dans l’esprit du spectateur l’incroyable talent de Zuckerberg, mais aussi les défauts qui, en outre, ont motivés sa démarche.
Sorkin ne cherche pas tant à noircir le portrait du créateur de Facebook qu’à identifier les besoins et les manques qui l’ont amené à concevoir le site. Il s'efforce de montrer comment l'environnement a influencé son protagoniste, les vingt premières minutes du film s'employant à décrire la dynamique sur le campus et la hiérarchie des classes sociales qui contraignent les étudiants.     

Le deuxième acte se concentre sur la conception de Facebook après que les frères Winklevoss eurent invité Zuckerberg au Final Club Porcellian pour lui parler de leur idée du site Harvard Connection, mais tout en lui interdisant d’aller plus loin que le vestibule parce qu’il n’est pas membre. Ce pied-de-nez au désir de Mark est renforcé par une insulte à peine voilée de Divya Narendra, l’associé des deux frères, qui insinue que cette collaboration pourrait rétablir sa réputation auprès des femmes à Harvard, ce à quoi Mark répond : «You would do that for me ? »… la même réplique sarcastique que son ex-copine avait utilisé juste avant de rompre avec lui. Zuckerberg  vient de comprendre qu’il ne fera jamais partie d’un Final Club parce qu’ils sont « exclusifs », le mot clé qui différencie la Harvard Connection des autres sites du genre et qui deviendra l’esprit même du site Facebook.
 
Sorkin n’essaye pas d’établir si oui ou non Zuckerberg a volé l’idée des frères Winklevoss, mais s’intéresse plutôt au cheminement psychologique qui pousse Mark à les trahir.  D’un point de vue narratif, cette trahison devient légitime dans la mesure où elle comble un besoin. Il en va de même pour  Edouardo qui finance l’opération. Pendant que Zuckerberg conçoit Thefacebook, nous voyons son ami franchir les différentes étapes pour être admis au Phoenix club. Bien qu’il soit cofondateur du site, cette opportunité attise la jalousie de Mark et annonce la trahison qui va suivre.
Le troisième acte alterne sans cesse la croissance rapide du site et l’interrogatoire des avocats auquel Mark répond de manière évasive pour éviter de s’incriminer. À ce stade, le spectateur aura compris que ses défauts ont joué un rôle fondamental dans sa réussite. La logique interne du récit est imparable et parfaitement imbriquer dans l’histoire. Sans jamais l’expliquer ouvertement, Sorkin nous montre comment les circonstances ont donné à Mark Zuckerberg l’idée de crée Facebook et ultimement pourquoi il trahit ceux qui ont joué un rôle dans l’émergence de cette vision. En mettant nez-à-nez son immense succès et les poursuites judiciaires qui pèsent contre lui, Sorkin étudie la nature humaine autant que la manière dont certains personnes parviennent à saisir « l’esprit d’une époque » alors que d’autres ne font qu’entrevoir des possibilités.
 
Que serait-il advenu de la Harvard Connection si le site avait vu le jour ?  Difficile à dire, mais le nom déjà et l’élitisme des frères Winklevoss laissent présagés que la notion « d’exclusivité » tenait lieu de barrière.  Issu d’un milieu modeste, donc marginalisé au sein de Harvard, Zuckerberg voyait plutôt dans l’exclusivité un concept universel, le besoin de chacun d’appartenir à un groupe et même d’être au cœur de son propre réseau.  Toutefois, (et c’est probablement la clé de son succès) il commence par limiter l’accès à différentes écoles, donnant aux premiers utilisateurs l’impression d’être « privilégiés ». C’est donc au confluent de ses problèmes personnels et des opportunités du moment qu’émergera l’idée géniale qui fera de lui un milliardaire.  Ironiquement, il ne le fait pas pour l’argent, mais plutôt pour s’offrir une opportunité que la vie lui refuse.
Le quatrième acte marque le début de la descente aux enfers symbolisé par l’arrivée  de Sean Parker qui écarte Edouardo et prend sa place comme directeur financier, annonçant du même coup l’établissement du siège social de Facebook en Californie et le début des guerres intestines. Les scènes d’avilissement se multiplient : l’entourage de Mark boit, se drogue et s’adonne à des jeux puéril dont Sean Parker est l’instigateur. La réalisation de David Fincher se fait plus ambiante pour montrer que le succès monte à la tête des protagonistes. La scène de la discothèque est particulièrement significative : des lumières multicolores illuminent le visage de Mark Zuckerberg et Sean Parker pendant que celui-ci raconte comment Roy Raymond, un type complexé, a fondé Victoria Secret pour éviter aux gens de se sentir mal-à-l’aise d’acheter de la lingerie fine.
 
Si le personnage de Sean Parker est l’antagoniste de l’histoire, dépeint ici comme un opportuniste et un manipulateur, c’est néanmoins à lui que s’identifie Zuckerberg, tous deux étant des as de l’informatique, rebelles dans l’âme et rejetés par l’élite. Edouardo Saverin est un meilleur ami, mais il incarne cette réussite sociale qui dresse une barrière entre eux.  Ce manque de repère, qui lui a inspiré Facebook, est également la faiblesse qui pousse Mark à couper les liens avec son entourage, le détournant ainsi de sa quête première, mais non pas à de sa motivation profonde qui est de se venger.
Tout le cinquième acte, à savoir les quinze dernières minutes, se concentre l’isolement de Mark Zuckerberg, alors que les frères Winklevoss prennent la décision de le poursuivre, de même qu’Edouardo, tandis que Sean Parker est accusé par la police de détournement de mineures et possession de drogue, ce qui oblige Mark à s’en dissocier.  Le film se conclut  au bureau des avocats où le créateur de Facebook se retrouve seul avec une assistante qui refuse son invitation à sortir. Il tente alors de la convaincre qu’il n’est pas un salaud. En guise de réponse, elle lui conseille d’accepter un arrangement hors-cour, persuadée qu’un jury ne croira pas sa version des faits et pour expliquer la réaction des gens à son égard, elle dira : « Creation  myths need a devil», une phrase un peu étrange dans le contexte, mais qui s’inscrit fort bien dans la thématique du film.
The Social Network est donc un film sur les « fausses amitiés », clin d’œil évident au type de relations qu’on noue sur Facebook. Jamais le site n’est mis en valeur, filmé de loin et distraitement par le réalisateur. Il aurait été facile pour le scénariste de l'incarner en racontant, par exemple, une histoire de retrouvailles grâce à Facebook, mais là n’est pas le propos et même le titre se veut sarcastique. Il aurait pu s’appeler  The accidental billionnaires comme le livre, aux sonorités positives, et qui d’ailleurs se termine relativement bien puisqu’on y mentionne que l’entente hors-cour fut satisfaisante pour tout le monde, qu’Edouardo Saverin est redevu cofondateur et même que Mark Zucherberg et Erica Albright se sont retrouvés. Mais le film se termine plutôt sur l’image pathétique de Mark espérant qu’Erica accepte son invitation à devenir ami sur Facebook.
 
En résumé, outre la complexité des dialogues et leur tempo rapide, Aaron Sorkin est d’abord fasciné par l’intelligence et son rapport aliénant avec les motivations puériles, un combat sans merci entre la raison et les émotions dont le mélange est synonyme de grandeur et décadence.

Ceci conclut le dossier sur Aaron Sorkin

Prochain article : Margin Call  de J.C. Chandor

Note aux lecteurs : N’hésitez pas à me faire part de vos commentaires. C’est un plaisir pour moi d’écrire ce blogue et je serais heureux de savoir ce que vous en pensez.

Sébastien 

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