Film évènement
de l’année 2010, The social network marque
la collaboration de trois grands créateurs : Aaron Sorkin bien sûr, le
réalisateur David Fincher et le compositeur Trent Reznor qui donne au film son
ambiance si particulière. C’est aussi la consécration pour Sorkin qui acquiert ses lettres de noblesse au cinéma. Les critiques
louangèrent ses dialogues ciselés et leur tempo rapide. Notons qu’il s’agit d’une
adaptation du livre The accidental
billionnaires de Ben Mezrich, un récit linéaire que Sorkin va reconstruire
habilement. Ce troisième volet est donc consacré à la construction narrative
tout en poursuivant la réflexion sur l’ambition du marginal.
Suite au succès
que rencontre Facebook à travers le
monde, David Zuckerberg fait face à deux poursuites judiciaires, l’une
d’Edouardo Saverin qui fut cofondateur du site avant d’être évincé par son ami
et l’autre des frères Winklevoss qui accusent Zuckerberg d’avoir volé leur
idée.
Toujours
soucieux de tenir un propos, Sorkin s’intéresse cette fois à la trahison,
comment et pourquoi elle se manifeste. Pour mener de front la chronologie des
évènements et sa réflexion sur le sujet, il développe deux trames en
parallèle : les audiences concernant la poursuite Edouardo et celle des
frères Winklevoss, chacune entrecoupée de flashbacks qui récapitulent les
faits. Celle d’Edouardo se concentre sur l’amitié tandis que la deuxième traite
de l’opportunisme. À cette double trame, Sorkin juxtapose cinq actes bien définis
qui décrivent avec force et détails comment des gens de bonne foi finissent par
perdre leur sens moral.
Le premier acte
raconte les circonstances entourant la création de facemash, un site misogyne que
Mark met en ligne pour se venger de sa copine qui vient de rompre. Cette
rupture, qui ouvre le film, exploite à fond la double-conversation chère à
Sorkin. Même s’il saute du coq à l’âne, Zuckerberg en revient toujours à parler
des finals clubs qui lui sont
inaccessibles. Le dialogue met en évidence son sentiment d’infériorité face à
ces clubs, mais aussi son intelligence supérieure, sa copine ayant du mal à le
suivre. Non seulement le créateur de Facebook nous est présenté comme un type
envieux et arrogant, l’épisode facemash souligne
également ses talents de pirate informatique, de même que sa vulnérabilité puisqu’il abandonne un cours après avoir reçu un billet insultant de la part
d’une étudiante, le tout couronné de succès avec 22 000 visites sur son site,
un nombre qui se sera répété par 3 personnages différents, dont les frères
Winklevoss, dans 2 situations distinctes à quelques scènes d’intervalles,
imprimant ainsi dans l’esprit du spectateur l’incroyable talent de Zuckerberg,
mais aussi les défauts qui, en outre, ont motivés sa démarche.
Sorkin ne
cherche pas tant à noircir le portrait du créateur de Facebook qu’à identifier
les besoins et les manques qui l’ont amené à concevoir le site. Il s'efforce de montrer comment l'environnement a influencé son protagoniste, les vingt premières minutes du film s'employant à décrire la dynamique sur le campus et la hiérarchie des classes sociales qui contraignent les étudiants.
Le deuxième
acte se concentre sur la conception de Facebook après que les frères Winklevoss
eurent invité Zuckerberg au Final Club Porcellian
pour lui parler de leur idée du site Harvard Connection, mais tout en lui
interdisant d’aller plus loin que le vestibule parce qu’il n’est pas membre. Ce
pied-de-nez au désir de Mark est renforcé par une insulte à peine voilée de Divya
Narendra, l’associé des deux frères, qui insinue que cette collaboration
pourrait rétablir sa réputation auprès des femmes à Harvard, ce à quoi Mark
répond : «You would do that for me ? »… la même réplique
sarcastique que son ex-copine avait utilisé juste avant de rompre avec lui. Zuckerberg
vient de comprendre qu’il ne fera jamais partie d’un Final Club parce qu’ils sont
« exclusifs », le mot clé qui différencie la Harvard Connection des
autres sites du genre et qui deviendra l’esprit même du site Facebook.
Sorkin n’essaye
pas d’établir si oui ou non Zuckerberg a volé l’idée des frères Winklevoss,
mais s’intéresse plutôt au cheminement psychologique qui pousse Mark à les
trahir. D’un point de vue narratif,
cette trahison devient légitime dans la mesure où elle comble un besoin. Il en
va de même pour Edouardo qui finance
l’opération. Pendant que Zuckerberg conçoit Thefacebook,
nous voyons son ami franchir les différentes étapes pour être admis au Phoenix club. Bien qu’il soit
cofondateur du site, cette opportunité attise la jalousie de Mark et annonce la
trahison qui va suivre.
Le troisième
acte alterne sans cesse la croissance rapide du site et l’interrogatoire des
avocats auquel Mark répond de manière évasive pour éviter de s’incriminer. À ce
stade, le spectateur aura compris que ses défauts ont joué un rôle fondamental
dans sa réussite. La logique interne du récit est imparable et parfaitement
imbriquer dans l’histoire. Sans jamais l’expliquer ouvertement, Sorkin nous
montre comment les circonstances ont donné à Mark Zuckerberg l’idée de crée
Facebook et ultimement pourquoi il trahit ceux qui ont joué un rôle dans l’émergence
de cette vision. En mettant nez-à-nez son immense succès et les poursuites
judiciaires qui pèsent contre lui, Sorkin étudie la nature humaine autant que
la manière dont certains personnes parviennent à saisir « l’esprit d’une
époque » alors que d’autres ne font qu’entrevoir des possibilités.
Que serait-il
advenu de la Harvard Connection si le
site avait vu le jour ? Difficile à
dire, mais le nom déjà et l’élitisme des frères Winklevoss laissent présagés
que la notion « d’exclusivité » tenait lieu de barrière. Issu d’un milieu modeste, donc marginalisé au
sein de Harvard, Zuckerberg voyait plutôt dans l’exclusivité un concept
universel, le besoin de chacun d’appartenir à un groupe et même d’être au cœur
de son propre réseau. Toutefois, (et
c’est probablement la clé de son succès) il commence par limiter l’accès à
différentes écoles, donnant aux premiers utilisateurs l’impression d’être
« privilégiés ». C’est donc au confluent de ses problèmes personnels
et des opportunités du moment qu’émergera l’idée géniale qui fera de lui un
milliardaire. Ironiquement, il ne le
fait pas pour l’argent, mais plutôt pour s’offrir une opportunité que la vie
lui refuse.
Le quatrième
acte marque le début de la descente aux enfers symbolisé par l’arrivée de Sean Parker qui écarte Edouardo et prend sa place comme directeur
financier, annonçant du même coup l’établissement du siège social de Facebook
en Californie et le début des guerres intestines. Les scènes d’avilissement
se multiplient : l’entourage de Mark boit, se drogue et s’adonne à des
jeux puéril dont Sean Parker est l’instigateur. La réalisation de David Fincher
se fait plus ambiante pour montrer que le succès monte à la tête des
protagonistes. La scène de la discothèque est particulièrement significative :
des lumières multicolores illuminent le visage de Mark Zuckerberg et Sean
Parker pendant que celui-ci raconte comment Roy Raymond, un type complexé, a
fondé Victoria Secret pour éviter aux gens de se sentir mal-à-l’aise d’acheter
de la lingerie fine.
Si le
personnage de Sean Parker est l’antagoniste de l’histoire, dépeint ici comme un
opportuniste et un manipulateur, c’est néanmoins à lui que s’identifie Zuckerberg,
tous deux étant des as de l’informatique, rebelles dans l’âme et rejetés par
l’élite. Edouardo Saverin est un meilleur ami, mais il incarne cette réussite
sociale qui dresse une barrière entre eux. Ce manque de repère, qui lui a inspiré
Facebook, est également la faiblesse qui pousse Mark à couper les liens avec
son entourage, le détournant ainsi de sa quête première, mais non pas à de sa
motivation profonde qui est de se venger.
Tout le
cinquième acte, à savoir les quinze dernières minutes, se concentre l’isolement
de Mark Zuckerberg, alors que les frères Winklevoss prennent la décision de le
poursuivre, de même qu’Edouardo, tandis que Sean Parker est accusé par la
police de détournement de mineures et possession de drogue, ce qui oblige Mark
à s’en dissocier. Le film se conclut au bureau des avocats où le créateur de
Facebook se retrouve seul avec une assistante qui refuse son invitation à
sortir. Il tente alors de la convaincre qu’il n’est pas un salaud. En guise de
réponse, elle lui conseille d’accepter un arrangement hors-cour, persuadée qu’un
jury ne croira pas sa version des faits et pour expliquer la réaction des gens
à son égard, elle dira : « Creation myths need a devil», une phrase un peu
étrange dans le contexte, mais qui s’inscrit fort bien dans la thématique du
film.
The Social
Network est donc un film sur les « fausses amitiés », clin d’œil évident
au type de relations qu’on noue sur Facebook. Jamais le site n’est mis en
valeur, filmé de loin et distraitement par le réalisateur. Il aurait été facile
pour le scénariste de l'incarner en racontant, par exemple, une histoire de retrouvailles
grâce à Facebook, mais là n’est pas le propos et même le titre se
veut sarcastique. Il aurait pu s’appeler
The accidental billionnaires
comme le livre, aux sonorités positives, et qui d’ailleurs se termine
relativement bien puisqu’on y mentionne que l’entente hors-cour fut
satisfaisante pour tout le monde, qu’Edouardo Saverin est redevu
cofondateur et même que Mark Zucherberg et Erica Albright se sont retrouvés. Mais le film se termine plutôt sur l’image pathétique de Mark
espérant qu’Erica accepte son invitation à devenir ami sur Facebook.
En résumé,
outre la complexité des dialogues et leur tempo rapide, Aaron Sorkin est
d’abord fasciné par l’intelligence et son rapport aliénant avec les motivations puériles, un combat sans merci entre la raison et
les émotions dont le mélange est synonyme de grandeur et décadence.
Ceci conclut le
dossier sur Aaron Sorkin
Prochain
article : Margin Call de J.C. Chandor
Note aux
lecteurs : N’hésitez pas à me faire part de vos commentaires. C’est un
plaisir pour moi d’écrire ce blogue et je serais heureux de savoir ce que vous
en pensez.
Sébastien
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